Le premier trimestre 2023 a été catastrophique en termes de ventes de logements : -25, voire -30 ou plus selon les régions, par rapport à la même période en 2022, assène la Fédération de la Promotion Immobilière. Sur le Forum Bois Construction, le 13 avril dernier, le président de la FPI regrette une conjonction d’absence d’offre et d’absence de demande. Pour lui, la promotion immobilière est atteinte "d’une maladie chronique mais vient de passer aux urgences".
Le président a profité de la présence au Forum du ministre du Logement et de la Ville pour lui remettre une liste de prescriptions impératives. Boulanger regrette de mettre un bémol à la séance d’ouverture du Forum, mais fait comprendre que "pour construire biosourcé, il faut pouvoir construire tout court". Cela veut-il dire que la construction biosourcée risque de connaître le même sort qu’il y a dix ans, quand la crise financière a cassé son élan et obligé nombre d’architectes du bois à faire rebasculer leurs projets vers le béton ?
A la tribune juste après le président de la FPI, le président du FBIE, soit de l’aval de la filière bois, Frédéric Carteret, tempère un peu. La crise du marché du logement est là, mais c’est aussi une opportunité. Un peu plus tard, le premier atelier du Forum se concentre sur les promoteurs qui ont choisi le bois, et l’optimisme est de mise.
En 2017 à Nancy, le Forum Bois Construction avait réuni parmi les plus grands promoteurs de France, mais ils n'avaient pas grand chose à dire. La situation a évolué.
Même lors de la table ronde finale à laquelle participe Frank Hovorka de la FPI, cet optimisme n’est pas brisé. Certes, le décret permettant aux collectivités de dépasser le PLU en cas de construction biosourcé ne devrait pas changer fondamentalement la donne. Le décret imminent sur la protection contre l’incendie devrait avoir un effet négatif et faire ajouter des isolants minéraux et des plaques de plâtre aux ouvrages.
Hovorka estime que le gouvernement manque d’une vue d’ensemble et risque de tuer dans l’œuf une évolution actuellement favorable vers la construction biosourcée. Mais face à lui, tant Woodeum que Linkcity ou Aventim et REI font parler leurs chiffres et le consensus se fait sur l’idée qu’en fonction de l’évolution de la RE2020, sauf droit de revoyure agissant dans le mauvais sens, le bois sera de facto la solution standard avant 2031.
Tout le monde s’accorde sur le surcoût actuel des solutions biosourcées, mais temporise. La massification est en marche. Il y a des centrales à béton partout en France et tout près, ce qui n’est pas le cas des scieries. La France était la championne mondiale du béton et la mutation prend un certain temps. On arrive déjà à des réalisations dont le coût de construction est de 1.500 euros le m², voire moins. Il s’agit à vrai dire d’opérations menées par des architectes maîtres du jeu comme WOA pour Aventim, un promoteur pleinement réorienté vers la construction biosourcée.
Julien Pémezec de Woodeum ne craint que les difficultés organisationnelles pour tripler rapidement la production biosourcée en France.
Quant à voir la promotion disparaître face à l’impératif de la réhabilitation, non seulement la plupart des opérations urbaines sont d’ores et déjà des réhabilitations même si classées neuf par le permis de construire, mais en plus, tout le monde s’accorde pour penser que le matériau bois a toute sa place sur ce marché par sa flexibilité et sa légèreté pour les surélévations. Et justement, selon Anne Fraisse d’Urbain des Bois, il faut construire la ville sur la ville de façon à concentrer la population autour des nœuds de transports en commun, parce que les émissions de GES se font surtout par les déplacements des usagers.
Seule ombre au tableau, la production de constructions biosourcées devrait tripler et selon Julien Pémezec qui assiste à un doublement de l’activité de Woodeum, cela revient à avoir "du 220 volts dans les doigts".
Grâce à la modératrice de l’atelier A1, Claire Leloy, les échanges n’ont pas versé cette fois-ci dans la langue de bois. De sorte qu’au-delà des sentiments optimistes, certain faits saillants apparaissent. Chez Woodeum, un tiers des effectifs sont des ingénieurs, un pourcentage inconnu dans le monde de la promotion. Par ailleurs, les émissions de GES engendrées par l’industrie de la construction (24 Mt) équivalent à parts égales à l’artificialisation nette (11 Mt) et aux des fuites de gaz frigorigènes utilisés pour la climatisation (12 Mt), rappelle Anne Fraisse.
Sébastien Nerva souligne l'explosion des projets biosourcés chez Linckcity, preuve que le mouvement est réel.
Ces valeurs sont en fait à manier avec modération, citées d’après Zefco, source Citepa 2019 : elles ne prennent pas en compte les émissions induites par la construction au sens large, par exemple dans le transport. Dès 2018, l’ONU a avancé l’estimation que le Bâtiment tout confondu (donc avec l’artificialisation et les fuites de gaz frigorigènes, plus les émissions induites) pèse 40% des émissions humaines de GES, voire plus.
Enfin, Anne Fraisse insiste sur l’apport essentiel de la replantation d’arbres. Ce qui tend à valider l’approche de REI habitat, qui associe des programmes immobiliers à des plantations, même s’il n’entre pas dans le moule du label bas carbone.
Comme le prétend Julien Pémezec de Woodeum, les étoiles semblent bien alignées comme jamais pour la construction biosourcée. Mais le diable est caché dans les détails. Premièrement, on n’évalue pas encore correctement les flux émissifs, ni à l’échelle nationale, ni par territoires, et l’on se rend compte que la bonne solution parisienne sera peut-être contreproductive dans un milieu rural donné.
En outre, non seulement la matière première ligneuse est impactée de plein fouet par le changement climatique, mais en plus, les mesures de protection de la biodiversité sont en train d’entraver les travaux sylvicoles, comme le souligne Jean-Michel Servant, président de France Bois Forêt.
Il faut remonter à la veille, la troisième session inaugurale du Forum de Lille, consacrée le 12 avril 2023 à la ‘ressource forestière’, pour prendre en compte comme le fait Jean-Luc Sandoz les réalités climatiques réelles et la nécessité de sortir les bois dépérissants de la forêt pour en stocker le carbone à très longue échéance dans la construction, et replanter massivement.
A Libramont en Wallonie où il a pu développer ses pensées peu après le Forum, ces explications ont reçu une véritable ovation. Sans doute parce que la gravité de la situation climatique exige une politique qui va au-delà de l’objectif ‘Fit for 55’ de la Commission, et des considérations corporatistes sur la santé de la promotion ou de la construction biosourcée.
Tout sur le Forum Bois Construction
Alors que le marché du logement neuf plonge, la promotion biosourcée claironne. Echappera-t-elle à une descente aux enfers ?