Photo : Environ 500 personnes sont présentes chaque jour sur le chantier et plus de 1.000 compagnons et artisans sont impliqués, en comptant ceux qui travaillent hors site pour préparer la restauration. © Romaric Toussain/ Etablissement public Rebâtir Notre-Dame
Un peu plus de quatre ans plus tard, et à quelque 18 mois de la réouverture de cet édifice emblématique, promise par le chef de l’Etat pour décembre 2024, l’immense chantier est bien avancé.
Créé pour le superviser, l’établissement public “Rebâtir Notre-Dame de Paris” est le maître d’ouvrage de ce chantier de plus de 845 millions d’euros (offerts par 340.000 donateurs de 150 pays différents). Il est l’interlocuteur des acteurs institutionnels et coordonne plus de 150 entreprises intervenant parfois simultanément sur le monument. Plus de 130 appels d’offres ont été lancés pour recruter les plus compétents des compagnons et artisans d’art, des PME spécialisées Monuments historiques, aux artisans d’art, entrepreneurs individuels.
Après les bâtisseurs, qui ont mis 60 ans à l’édifier (1163-1220) et 200 ans à l’achever, puis les restaurateurs qui l’ont sauvée de la ruine au 19ème siècle sous la direction de Eugène Viollet-Le-Duc, c’est au tour des “rebâtisseurs” de Notre-Dame-de-Paris d’intervenir : ces quatre dernières années, ils ont évité son effondrement et contribuent à lui rendre son dernier aspect connu.
Artisans, compagnons, entreprises, équipes de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre se sont d’abord chargés de sécuriser le bâtiment et ses alentours immédiats, menant de front plusieurs opérations délicates : évacuation des décombres, dépollution, tri et inventaire des vestiges à conserver (par des experts et des archéologues), d’une part. Et d’autre part, dépose par des échafaudeurs, grutiers et cordistes, de l’échafaudage présent au moment du sinistre autour de la flèche, 40.000 pièces totalisant un poids de 200 tonnes devenues une menace. L’édifice a aussi été couvert au plus vite pour le protéger des intempéries et ne pas aggraver sa détérioration.
A l’été 2021, le chantier était sécurisé et prêt à recevoir les premiers restaurateurs.
Ces échafaudeurs, grutiers et cordistes seront présents tout au long du chantier pour construire divers échafaudages intérieurs et extérieurs, adaptés aux interventions des autres corps de métier. Ils ont par exemple permis aux charpentiers de consolider les voûtes en les étayant à l’intérieur (52 demi-cintres posés) et en renforçant les arcs boutants à l’extérieur.
Jusqu’à la fin 2023, ils élèveront progressivement l’échafaudage qui entourera la flèche, au fur et à mesure de sa construction (600 tonnes et 100 m de haut).
Quant aux grues qui ont servi à déposer (dont une grue à tour de 80 m), elles restent utiles pour acheminer certains matériaux et pièces aux endroits adéquats.
Sécurisation de l'édifice. Photo © DR
De nombreux corps de métiers sont intervenus et continuent d’œuvrer autour et dans l’édifice.
Evoquons rapidement les artisans d’art : ornemanistes qui restituent les nombreux ornements en plomb de la toiture ; restaurateurs de sculptures, de tableaux et de vitraux ; campanistes, qui nettoient ou réparent les 21 cloches ; facteurs d’orgue, qui ont démonté et poursuivent le nettoyage des 8.000 tuyaux, 19 sommiers et 115 jeux de l’orgue de tribune (le plus grand de France), pollué par les poussières de plomb (les pièces les plus imposantes sont restaurées sur place).
Parlons aussi du "chantier scientifique" mené en parallèle, qui regroupe 175 chercheurs, conservateurs, ingénieurs et techniciens de France et d’ailleurs. Ces spécialistes en histoire, archéologie, anthropologie, acoustique ou science des matériaux interviennent à divers niveaux : évaluation de l’intérêt patrimonial ou scientifique des vestiges, fouilles préventives, recherche des caractéristiques initiales du bâtiment, etc.
Et arrêtons-nous sur les artisans du bâtiment, charpentiers, couvreurs, maçons et tailleurs de pierre qui oeuvrent à la reconstruction des parties irrémédiablement perdues.
Les sculpteurs reproduisent les décors des pignons, tours et murs gouttereaux de la cathédrale que l’incendie avait abimés.© David Bordes / Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.
Les voûtes écroulées, la charpente, la couverture et la flèche haute de 60 m doivent être reconstruites à l’identique. Ce qui signifie d’abord tout un travail en amont pour identifier les techniques et les matériaux utilisés à l’époque médiévale.
Les artisans mêlent gestes ancestraux et techniques contemporaines pour parvenir au résultat le plus fidèle, tout en tenant des délais exceptionnellement courts pour un chantier de cette ampleur.
Rien n’a subsisté de la “forêt”, cette charpente en chêne de la cathédrale qui datait pour sa plus grande partie du 13ème siècle ; ni de celle de la flèche, édifiée au 19ème siècle. Pour reproduire ces ouvrages exceptionnels, 2.000 arbres ont été sélectionnés dans les forêts publiques (80 %) et privées du pays (20 % du total : un large mécénat de la filière bois à souligner !).
Mille chênes sont nécessaires pour restituer la charpente de la flèche et des bras du transept, dont certains sont hauts de 20 m et d’un diamètre supérieur à 1 m.
Mille autres sont destinés à la charpente médiévale de la nef et du chœur. 50 scieries françaises ont été mises à contribution.
Ces arbres, choisis pour leur qualité exceptionnelle, ont été abattus hors sève, en lune descendante ou en lune noire.© EJH
L'ensemble charpentier à recréer atteint 100 m dans sa plus grande longueur, pour plus de 10 m de large et de haut. La complexité des ouvrages, leurs dimensions et leur nombre font de cette restitution une véritable prouesse technique.
Les pièces sont taillées, assemblées à blanc puis démontées partiellement ou intégralement, avant d’être acheminées et réassemblées sur le chantier et positionnées à la grue.
Maquette ancienne des charpentes flèche et transept. © EJH
Pose des cintres qui serviront à reconstruire les arcs de la voûte à la croisée du transept. © Patrick Zachmann – Magnum Photos
Les charpentes médiévales ont été confiées à un groupement d’entreprises constitué par les Ateliers Perrault (Maine-et-Loire – mandataire) et les Ateliers Desmonts (Eure). L'équarrisage, le sciage de long et la taille du bois vert sont réalisés à la main.
La construction, entièrement manuelle, n’utilise aucune pièce métallique pour les assemblages. Une cinquantaine de haches ont été réalisées par des taillandiers pour l’occasion (haches de dégrossi pour l’équarrissage, et doloires pour lisser la surface). Le levage à blanc manuel d’une des charpentes, à la seule force humaine, s'est déroulé le 29 juin (reportage en images ici). Les fermes seront ensuite démontées, acheminées à Paris et installées à leur emplacement définitif. Elles s’élèveront progressivement, concomitamment à la flèche.
Les charpentiers utilisent des outils et techniques de l'époque médiévale. Ici des grumes en cours d'équarrissage, à l'aide de haches de dégrossi et de doloires. ©EJH
D’ordinaire concurrentes, quatre PME ont choisi d’unir leurs forces et de candidater en groupement pour répondre au défi tant technique que calendaire.
La charpente de la flèche est réalisée à Briey, en Meurthe-et-Moselle, dans un atelier de 8.000 m², par Le Bras Frères (Meurthe-et-Moselle – mandataire), Asselin SAS (Deux-Sèvres), et Cruard Charpente (Mayenne).
L’assemblage à blanc du socle de la flèche, appelé “tabouret” (15 m de long par 13 m de large et 6 m de haut, il compte 150 assemblages très complexes de 110 pièces) a été achevé mi-mars. Depuis avril, ce socle est installé au-dessus des arcs diagonaux et de l’oculus en pierre de la croisée du transept, remontés en janvier et février derniers.
Le montage à blanc du fût de la flèche (19 mètres de haut, sur une base de 7 mètres par 7 mètres) a lieu le 20 juillet à Briey. Le fût sera ensuite démonté avant d’être acheminé jusqu'au chantier où il sera remonté pièce par pièce, avant d’être gruté à son emplacement final.
Croquis du fût par l'entreprise Asselin : 285 pièces sont imbriquées en 350 assemblages complexes, voire très complexes, dont le fameux "nœud X", où 24 pièces se croisent.
Les charpentes des deux bras du transept sortiront des ateliers de MdB Métiers du bois (Val de Marne), à Bretteville-sur-Odon, dans le Calvados.
Les vestiges de bois de charpente carbonisés ont été étudiés d’un point de vue technique et environnemental.© EJH
Merci pour avoir partagé ce brillant compte rendu.
Merci pour ce complet et passionnant compte rendu, Bravo, un bel ouvrage... la suite est attendue avec impatience...
Merci pour tous ces reportages, on ne se lasse pas de lire ce magnifique travail et de voir bientôt notre Cathédrale guérie. Bravo à tous les compagnons et leurs entreprises, souhaitons que leur travail provoque des vocations.
Merci pour cet article bien renseigné qui nous informe de ce qui est invisible depuis le parvis.
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Le reportage et les commentaires sont remarquables. Merci de toutes ces informations.