Il est de notoriété publique que le bois stocke du carbone, et que l’utilisation du bois en structure de bâtiment permet de le stocker plus longtemps que quand on fabrique des fourchettes. Un argument massue qui fait le titre du 13e Forum Bois Construction en avril 2024 à Épinal et Nancy.
Mais pour combien de temps ? Les nouvelles FDES de 2025 vont intégrer la dernière étape de transformation des matériaux et il a fallu toute la puissance financière de la filière bois pour conjurer une mise à néant de la prise en compte du carbone biogénique, tout simplement parce que le bois de structure après 50 ans est voué à la combustion et donc au relargage complet du carbone stocké.
La durée de vie de 50 ans des ouvrages est-elle juste une formalité qui ne préjuge en rien de la durée de vie réelle des ouvrages, comme la forêt de Notre-Dame de Paris l’atteste ou encore les vieilles poutres qui sont souvent réemployées pour rebâtir de luxueuses chaumières ? Peut-être, mais aujourd’hui, pas facile de démonter et de réutiliser des ouvrages en BLC pour une nouvelle application structurelle.
L'atelier C4 programmé le vendredi matin de bonne heure et modéré par Marie-Cécile Pinson a receuilli le plus d'avis favorable dans l'enquête de satisfaction post Forum. © Forum FBC
Et pourtant, il existe un instrument de caractérisation des performances mécaniques du bois par ultrason, développé il y a 30 ans, utilisé dans le monde entier et dont la version 4 est réduite à une application de téléphone et deux petits capteurs : le Sylvatest de CBT. Est-il donc nécessaire, dans le cas d’un réemploi structurel, de démonter les poutres et de les acheminer dans un laboratoire qualifié pour procéder à des tests de rupture ?
Depuis cinq ans, la première construction de La Bricole ou Les cinq toits à Paris et d’autres réalisations lançant l’ère du réemploi du bois, la question n’est pas tranchée. Il existe des fiches spécifiques à différents types de solutions de réemploi du bois, mais elles ne sont pas acceptées comme techniques courantes. Il existe des bureaux de contrôle ouverts au réemploi comme BTP Consultants ou Alpes Contrôle, avec qui ont peut discuter au cas pas cas. Ces bureaux de contrôle développent une méthodologie, tandis que le CSTB, avec le programme SPIROU, intègre le réemploi des charpentes en bois selon 31.1 dans le panel des dix solutions formalisées. Quant aux ingénieurs bois d’IBC, mandatés par le Codifab, ils livreront le fruit de leur travail en 2025.
La Bagagerie Troubadour par Grand Huit et le Charpentier Volant transcendent une masure du Faubourg St-Jacques à Paris. © Grand Huit
En attendant, des agences parisiennes comme KOZ ou Grand Huit se sont prises au jeu du réemploi et de la réutilisation d’éléments non porteurs. Elles constatent que le bois sous toutes ses formes est une matière hautement transformable et valorisable. Dans le cas de Grand Huit, avec l’appui du Charpentier Volant, la Bagagerie Troubadour près du Parc Montsouris à Paris offre une première expérience de réutilisation de bois pour la création d’un mur structurel.
Découverts dans les appels à projets du dernier forum, le déménagement de La Bricole de la caserne Exelmans (16e) à la gare des mines d’Aubervilliers, ainsi que la création par Grand Huit d’une dixième bagagerie parisienne (14e) pour personnes sans domicile fixe, sont des épiphénomènes et la moisson du Forum rappelle les difficultés de FCBA pour trouver des chantiers de réemploi de bois dans le cadre de son étude 3R.
Le Sylvatest version 4 offre l'espoir d'une bien meilleure réutilisation du bois de structure. © Michel Laurent
Tout de même, le Forum trouve à Bruxelles le cas d’une recyclerie qui réutilise la toiture en lamellé-collé d’un hall d’équitation. Ce n’est pas un hasard : Yann Gueguen, de 51N4E, fait partie pour ainsi dire de l’élite européenne de la spécialité, autour de ROTOR. Au Benelux, la circularité est prise au sérieux depuis longtemps. Yann Guegen ne peut pas expliquer au Forum les méandres administratifs d’une opération qui profite de l’aide de l’ingénieur liégeois Arnaud Pineur de Greisch. Certes, les procédures sont quelque peu spécifiques en Belgique comparées à la France, mais ce chantier va être analysé en Europe sous toutes ses coutures.
Ensuite, dès après les Jeux Paralympiques de Paris, il faudra bien démonter le Grand Palais Ephémère, puis essayer de le remonter ailleurs sous une configuration ou l’autre. La structure est en lamellé-collé d’épicéa européen, et la question de son assurabilité en cas de réemploi se posera forcément. De même, les ouvrages en BLC de la grande période, qui a commencé dans les années 70, fêtent l’un après l’autre leur jubilé. Ils ne disposent que rarement d’indications claires sur le type de colle employée ou encore les caractéristiques mécaniques initiales du bois, car on remonte à une période d’avant la certification Glulam. Avec le temps, la question du réemploi de bois de structure n’en deviendra que plus prégnante.
Pour l’ancienne génération des acteurs, le BLC, c’est la garantie de produits stables, usinables, de plus en plus économiques face au bois massif. Pour les jeunes, c’et un peu différent. Ainsi, dans l’ABLAB de l’agence ArtBuild, Paul-Martin Barbet travaille sur une thèse CIFRE pour imaginer une façon de construire qui permette un ré-usage futur. Il intervient l’avant-veille à Épinal dans le cadre d’une session inaugurale du Forum dédiée aux travaux de thèse. Surprise : le sujet est également abordé par Odran Lemaître, qui peut s’appuyer sur des travaux de déconstruction de trois bâtiments à Remiremont sous l’égide de Vosgelis. Sans oublier le travail des étudiants de Paris-Val-de-Seine pour les Archifolies, complétant utilement l’atelier C4 par une bonne partie de la session inaugurale 2.1 d’Épinal.
En conclusion de l’atelier C4, Kevin Guidoux d’ABLAB (Artbuild) estime que le premier niveau de cette quête de réemploi serait de disposer pour chaque poutre de données fiables et claires. En principe, cela aurait sa place dans les maquettes numériques BIM ou autres remises aux propriétaires en fin de chantier. On en parle depuis des lustres, sans en voir la réalité.
Les meilleurs garants semblent être, comme le prétend Gilles Forest d’Arbonis, les lamellistes qui conservent, et pour cause, les caractéristiques de chacune de leurs poutres. Ce qui veut dire que les lamellistes français disposent d’un trésor d’information à mutualiser afin de comprendre le vieillissement des ouvrages collés, l’anticiper et éventuellement le prolonger.
Source : batirama.com / Jonas Tophoven © Forum FBC
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La "forêt" disparue de la charpente de Notre-Dame côté nef réemployait des charpentes du chœur, au 13e siècle, pour 800 ans. Aujourd’hui, réutiliser en structure une poutre en lamellé-collé relève de l’exploit.