Photo : Une combinaison d'assemblages Ki Wood et Highki Wood vient pour la première fois à bout de 10 étages
Roland Schweitzer, l’architecte alsacien de la construction bois, qui a découvert et exploré la culture traditionnelle de la construction bois japonaise, aurait apprécié. Il a sans doute eu vent de l’arrivée des solutions de Ki Wood avant sa mort. Plusieurs éditions durant, le groupe Ki Wood (alors Suteki Europe) a exposé à Batimat sur des stands spacieux mettant en évidence, sur plusieurs étages, sa façon de construire une structure à base d’un mécanisme quasiment invisible, en acier, raccordant de façon stable les poteaux et les poutres en lamellé-collé d’épicéa (dans le cas de l’Europe).
Suteki pouvait se permettre ces apparitions pour deux raisons. Premièrement, son patron avait lancé une campagne rare dans le monde de la construction bois : diffuser sa solution dans le monde entier. Deuxièmement, la particularité de sa solution lui permettait de monter rapidement des structures dans des salons, puisque le montage était réversible.
Les apparitions de Suteki Europe à Batimat n’ont quasiment rien donné et il en a été de même partout ailleurs. Pourtant, en France, le système est passé sous les fourches caudines du CSTB, un ETA a été délivré par le CSTB dès 2014 pour le système Suteki. Les tests feu ont donné un R30 de base.
73 Boulevard Poniatowski, Paris 12e.
L’approche de Suteki prenait le monde européen de la construction bois à contre-pied. Tout le monde ne jurait que par la préfabrication 2D, voir 3D, et la notion tendance de hors-site était en train de faire son chemin. A chaque édition de Batimat, face à ces structures multi-étage, on demandait ce que Suteki a fait en vrai, et il apparaissait que l’épicentre de l’action de Suteki en Europe se trouvait plutôt en Belgique. Sophie Lunard, directrice générale de Ki Wood, explique : "La réglementation y est plus souple et elle en avance sur le marché de la construction bois".
En 2017, le patron de Suteki est venu présenter son entreprise et sa solution au premier congrès Woodrise, à Bordeaux. De fait, le congrès à vocation mondiale se créait avec l’appui principal du Canada et du Japon, et les prochaines éditions devaient s’y dérouler tout à tour. Las, quand le tour du Japon fut venu, le patron de Suteki Wood a été débarqué. Des banques ont pris le contrôle de sa société et les banquiers ont sans doute mesuré la rentabilité réelle de cette initiative planétaire.
Alexis Joly, patron de la SNERCT.
Tout à été stoppé à l’export, mais miraculeusement pas l’export des éléments d’assemblages vers la France, qui développe le marché européen. Effet Woodrise, effet Batimat, effet longue durée de la présence d’une équipe française stable menée par Alexandre Lunard (PDG de Ki Wood et anciennement DG de Suteki France) finissant par développer un marché, du moins francophone ?
Sophie Lunard indique : "Nous sommes les représentants indépendants pour les connecteurs SuteKi et HighKi pour l’Europe. Mais toute l’ingénierie est due à notre équipe française. Nous vendons aussi à notre distributeur belge, en Hollande et avons réalisé des chantiers en Italie et Suisse, en attendant des extensions vers l’Espagne et le Portugal."
Toujours est-il que le marché français de la construction bois peut aujourd’hui s’enorgueillir d’être le seul à disposer en parallèle de solutions de montage modernes passant du 1D au 3D. Cela ne plaît pas à tout le monde. Les charpentiers disposent en général de leurs pratiques de taille et d’assemblage. Et le "légo" des solutions Ki Wood est trompeur car sa tolérance chantier est quasi nulle.
Epicéa, hêtre, LVL de hêtre... On peut passer d'un matériau à l'autre.
Ce qui veut dire que tout est préfabriqué et doit être monté comme si le béton ne revendiquait pas des tolérances au centimètre ? Pour les majors qui aujourd’hui se mettent à toucher au bois, c’est difficilement imaginable. Mais voilà, dans ce pays baroque de la construction bois, où ni les pires réglementations de protection contre l’incendie, ni la conjoncture, ne semblent pouvoir freiner une effervescence constructive orientée vers l’intégration du bois structurel et le biosourcé, on trouve des entrepreneurs avisés.
C’est le cas de la structure légère d’entreprise générale, SNERCT Construction, qui ne s’est pas préoccupée de se baptiser Wagner ou Vinci. Dirigée par Alexis Joly, avec 70 collaborateurs, c’est la structure des moutons à cinq pattes, comme l’exemplifie bien le chantier de surélévation de la rue Mademoiselle présenté au Forum Bois Construction de Paris en 2021 car révélateur de l’incroyable complexité de ce marché. A l’époque, c’est Ecologgia qui avait posé la surélévation bois et SNERCT tout le reste du chantier, dont de l’ancrage de cette superstructure dans le sous-sol au moyen de multiples piliers.
D’ailleurs, le même atelier avait également présenté une surélévation parisienne par l’agence Equateur, réalisée exactement dans la cour intérieure de l’opération actuelle de SNERCT boulevard Poniatowski (maître d'ouvrage, Toit et Joie, Poste Habitat). L’accès se faisait par la rue perpendiculaire Claude Decean et il était interdit d’acheminer les éléments par grue au-dessus du bâtiment de trois étages qui donnait sur le boulevard. Que le bailleur n’eût-il attendu quelques années ! Comme le bâtiment sur rue a été démoli, l’accès pour la surélévation sur cour aurait été dégagé et Equateur se serait peut-être inspiré de l’approche Suteki, entretemps devenu Ki Wood, pour effectuer sa surélévation.
Le 73 boulevard Poniatowski est en cours de montage pour une hauteur portée de 3 étages à 9, une densification parisienne habituelle qui n’aurait sans doute pas été possible sous forme de surélévation. Pour SNERCT, repartir de zéro avec quasiment aucune zone de stockage dans un environnement habité, cela conduisait à tester l’option Ki Wood.
Au Forum de Lille, Ki Wood est intervenu dans l’atelier sur le montage réversible pour expliquer comment son système est pratique dans le domaine des constructions éphémères, et comment il a permis de monter des appartements à Paris, impasse des chevaliers, en passant par le trou d’une aiguille. En complément, Sophie Lunard a exposé une nouvelle solution maison d’ancrage caché sous avis technique et permettant justement d’affronter les constructions de la hauteur de celle du boulevard Poniatowski. De sorte que cette dernière est le premier grand démonstrateur de l’option HighKi Wood. R+9 d’un coup avec aucun charpentier sur le site ? Il faut avoir le cœur bien placé mais Alexandre Lunard a de la bouteille.
Fin juin, SNERCT convie sur plusieurs journées son petit monde. Même le comité stratégique de la filière bois se déplace pour voir. Le montage en est environ à la moitié. Le constructeur admet que tout dépend de la pose de la première lisse et que le cas échéant, cette étape doit prendre le temps voulu. Les maçons n’étaient pas ravis d’assembler du bois mais la vitesse du chantier les a déridé. Le raccord avec le noyau en béton s’est réglé comme par miracle, dans la mesure où la construction est effectuée par la même entreprise.
La SNERCT a voulu montrer un étage supérieur au stade de gros-œuvre au moment où la structure est apparente. La façade est une FOB en ossature bois avec laine de roche, les piliers qui sont répartis régulièrement sont constitués à partir de BLC courant juste rallongé pour encaisser la descente de charge en partie basse. Le système supporte tout simplement un plancher sec en attente de chape après le clos-couvert. Les poutres en BLC laissent parfois apparaître du bleu qui témoignent d’un usage intelligent de la matière scolytée, et de toute façon le bois sera escamoté.
Le démonstrateur R+9 du système HighKi Wood est sur la bonne voie. Mais l’assemblage rapide de la structure ne signifie pas une livraison express. Le délai d’achèvement est aujourd’hui fixé à mars 2024. La rapidité de montage est utile pour diminuer les risques d’exposition des isolants et des OSB avant le clos-couvert. En ce moment, la première canicule de l’été facilite les choses, sauf gros orages.
Si tout se passe bien, la gestion des dents creuses, des surélévations et des constructions entravées disposera d’une nouvelle option. Et le clou de la solution HighKi Wood pourra être exemplifié : la possibilité de mixer les essences et types constructifs. Car HighKi Wood permet d’associer par exemple des poteaux en hêtre collés à des poutres en épicéa, voire des poteaux en LVL de hêtre. On voit poindre des solutions magnifiques où les premiers étages d’un R+X seraient en poutres LVL de hêtre, les étages intermédiaires en BLC de hêtre et les étages supérieurs en BLC d’épicéa, pour une emprise stable. C'est exactement ce dont la construction bois a besoin pour intégrer les feuillus dans la construction. Vraiment, Roland Schweitzer aurait apprécié.