Photo : Voûte du Palais Rameau à Lille © Agence 9.81
Les assemblages cachés de type Knapp on fait faire un bond à la construction bois. Tout d’un coup, la structure des ouvrages devient un élément prégnant de l’aspect intérieur du bâti. Certes, l’évolution actuelle des précautions en matière de protection passive contre l’incendie peuvent conduire à une régression, mais le ver est dans le fruit. En neuf comme en rénovation, l’horizon n’est plus à la création d’espaces cliniques et interchangeables, héritée du temps où il fallait masquer la maçonnerie grossière par des cloisons sèches.
Les temps changent, et Malvaux, fabricant français de panneaux bois, vient d’investir un million d’euros pour mettre en place une ligne de production assez diversifiée visant à remplacer les dalles modulaires "wet felt" ou "soft" qui ont marqué les espaces tertiaires depuis 60 ans. "Le marché ne se compte plus en milliers de m², mais en dizaines de milliers de m² par an", estime Philippe Denavit, président du groupe Malvaux, dans le cadre de l’atelier B3 du 13 avril 2023, au Forum Construction à Lille, sur le thème : "Réhabiliter et décarboner le cadre de vie : solutions techniques du second-œuvre et produits industriels biosourcés" (modération Charles-Henri Mathis).
Atelier B3 du 12e Forum Bois Construction à Lille en avril 2023.
La longueur du titre de l’atelier trahit la difficulté de la formule. Le Forum est plutôt centré sur la structure bois et tente depuis quelques années d’intégrer les options biosourcées voire géosourcées, parce que son public de prescripteurs penche vers le bon sens climatique et la faible émissivité. Dans le même esprit, le focus sur la construction proprement dite laisse place à un intérêt pour l’existant, la rénovation, la restructuration, éventuellement les extensions, les surélévations, les changements d’affectation, l’agencement, le second-œuvre.
L’icône de cette nouvelle ère vient une fois de plus de l’agence Studiolada. Il s’agit de la réhabilitation d'un bâtiment intercommunal en maison de santé pluridisciplinaire à Liffol-le-Grand dans la Meuse. Dans une région où l’on fabriquait des chaises en cannage traditionnel, c’est-à-dire une structure bois étroitement associée à une structure légère biosourcée par laquelle, de façon élégante, la tenue mécanique et le confort se combinent, l’agence transpose la formule à la construction. La frontière entre structure et aménagement s’estompe. Studiolada n’intervient pas dans l’atelier B3, mais présente le projet de Liffol avec d’autres réalisations dans le cadre de l’atelier A5 sur le bois peu transformé.
Même si les travaux de montage démarrent tout juste, le projet de réhabilitation du Palais Rameau à Lille constitue la meilleure entrée en matière, d’autant que le chantier a fait l’objet d’une visite la veille de l’atelier B3. L’agence 9.81 et le constructeur Edwood aménagent sur plusieurs étages une grande nef avec des solutions structurelles qui doivent pouvoir être démontées d’ici la fin du bail emphytéotique dans 25 ans. En optant pour une structure en peuplier, l’équipe couronne une longue démarche locale vers l’utilisation structurelle de cette essence. De fait, les structures en feuillus rapprochent la construction de l’agencement.
Maquette de la restructuration du Palais Rameau.
La seconde référence de l’atelier est hybride : la restructuration de l’îlot Gaîté à Paris par SRA Architectes et MVRDV révèle le dialogue entre les limites de l’agencement et l’architecture qui apportent le confort et le bien-être aux espaces de vie. D’une part, le tandem réussit la prouesse de construire des logements avec CLT apparent et passe pour ainsi dire, brillamment, son examen d’entrée pour l’école supérieure de la construction biosourcée, avec l’épreuve des ATEx, des douches à l’italienne sur plancher CLT, de toitures CLT en pente, de déflecteurs masqués, sans oublier les situations ubuesques comme celle qui revient finalement à créer tout de même les circulations en maçonnerie, heureusement largement superposées.
De l’autre, l’îlot révèle une approche impressionnante de l’utilisation du bois en agencement intérieur par ailleurs visible de la rue. L’escalier de secours de l’immeuble de bureaux de la rue du Maine devient un escalier monumental irrégulier qui file et anime la façade notamment le soir. Mais il a fallu accepter de se contenter d’habiller une structure en béton (quelle folie !) et aussi de risquer l’abandon de ce projet. Car le client WOJO s’est intégré en tant que co-maître d’ouvrage, tandis que le design de l’escalier ne correspondait plus que mollement à celui prévu pour de l’espace de coworking de luxe.
Après ce grand écart, le chantier de restructuration de l’INA à Bry-sur-Marne remet du baume au cœur. h2o architectes réussit une prouesse de restructuration d’un bâtiment qui a su allier béton et bois avec l’aide notamment de Malvaux. L’INA est la référence obligée des ENSA parisiennes en matière de futur de l’architecture, par le respect de l’architecture d’origine et une subtile réinterprétation par recours à la préfabrication en bois. On est certes en présence d’un travail d’agencement, voire d’un système constructif de cloisons fonctionnelles non porteuses de mobilier avec les cloisonnettes, mais le chantier révèle une préfabrication constructive qui s’apparente à celle des charpentiers ayant recours aux mêmes matières et assemblages. L’INA gagne du premier jour, en respect de la part de ses usagers, en paix sociale peut-être. Et la filière bois gagne une belle référence d’aménagement de rénovation en feuillus.
L'escalier monumental de secours de l'îlot Gaîté à Paris.
Aujourd’hui, les agenceurs sont fiers de travailler tous les matériaux, y compris ceux issus du de recyclage comme des briques à base de textiles ou des plafonds acoustique en PET. Cela change du bois et du métal qui représentent environ 70-80% de l’activité. Et pourtant, tout reste à faire pour développer un marché du cadre de vie et de l’agencement décarboné, du second œuvre à l’objet, qui sache recourir à la production locale de bois.
Fort de ce potentiel, des initiatives ont été créés comme le label Pro-A par la Chambre française de l’agencement (CFA). Ce label valorise ainsi le métier de l’agencement et établit progressivement un standard de qualité et de qualification pour la phase cruciale que l’agencement que représente la vie d’un chantier en France, (le second-œuvre est souvent mal fini). A cela s’ajoute la FNB qui a pris les devants en éditant en octobre dernier, sous la plume de Marie-Cécile Pinson, un ouvrage baptisé "Vivre dedans, vivre dehors", qui rapproche la production française des acteurs du cadre de vie, des scieurs aux agenceurs.
Tout sur le Forum Bois Construction
Dans le domaine de la construction biosourcée, la frontière entre la construction structurelle et l’aménagement est en train de se dissiper et cela va profiter à l’utilisation de bois feuillus locaux.