Dans un an, la tension va commencer à monter chez les charpentiers impliqués dans le démontage du Grand Palais Ephémère. Car ils ne sont pas en mesure de prévoir ce qui va leur arriver, et c’est dangereux. Une chose est d’assembler les portiques en bois de façon boulonnée. Une autre celle de prévoir le fluage et le tassement d’une structure en bois qui ne va pas forcément faciliter le démontage, en encore moins le remontage, même en sections séparées, sur un autre site.
Mais cela est justement le principal attrait du projet de Jean-Pierre Wilmotte, car il permettra de tirer des enseignements et stimulera sans doute ce marché de l’éphémère. Ce sera encore mieux si les JOP 2024 et la communication autour du démontage permettra de reconstruire les ouvrages ailleurs, pour clore la phase pionnière des ouvrages éphémères en bois qui ne trouvent pas vraiment de réutilisation, qu’il s’agisse du hall de la COP25 ou du pavillon France de l’Expo de Milan.
Petit sucre d’orge pour les réutilisateurs : avec la RE2020, le bilan carbone de l’ouvrage est plus ou moins nul sur le papier. Par contre, dans l’état actuel de la réglementation, il n’existe aucun bonus à la réversibilité. Construire pour pouvoir désassembler ne fait ni l’objet de recherches systématiques notamment de l’Ademe, ni le lit de banques de matières premières comme les Néerlandais tentent de les mettre en place depuis 10 ans.
Le montage réversible selon Shelterwood avec Kiwood.
Ainsi, les nouvelles Archives de la ville d’Amsterdam ont été conçues en faisant l’inventaire précis de tous ces composants. Et quand on commence à penser de cette façon, l’attention au mode d’assemblage en découle logiquement. Dans la foulée, les ACV du bois prennent un coup de vieux, dans la mesure où le réemploi du bois de construction prolonge indéfiniment la durée de vie du bois.
On n’en est pas très loin, pourtant ! En témoigne la volonté de plus en plus manifeste de réutiliser voire de réemployer le bois de déconstruction au sens large. Cela va tout à fait dans le sens des organismes de la REP, si ce n’est qu’à ce jour, personne ne va les obliger à promouvoir massivement une approche en cascade : réemploi d’abord, réutilisation ensuite et recyclage en dernier recours. Les acteurs puissants du marché vont tirer la REP vers le recyclage et la combustion, c’est un fait. Mais vu la complexité de la mise en place de la REP, y ajouter encore une couche dans ce sens serait considéré comme insupportable.
't Centrum, la réversibilité jusque dans l'aménagement intérieur.
La filière de construction bois, qu’elle travaille en 1D, 2D ou 3D, n’est pas du tout engagée dans le montage réversible à ce jour. C’est bien pourquoi il n’y a jamais eu d’atelier sur ce thème, ni au Forum, ni ailleurs. Et pourtant, il y a des chantiers, et cet ultime atelier du 12e Forum Bois Construction une bonne dizaine avec 14 intervenants, dans une session fleuve de plus de 2 heures.
De quoi s’agit-il ? Pour une bonne part, il s’agit d’ouvrages éphémères. Pour l’événementiel dans le cas de Kiwood, même si Shelterwood imagine d’adapter le concept à la construction de logements, et que Kiwood vient de terminer la structure de son R+10 parisien avec le recours au nouveau connecteur High-Kiwood. Le théâtre ABBA est temporaire, le bâtiment provisoire pour la sûreté publique à Monaco l’est aussi, ainsi que l’école Lakanal par BP Architectes. Mais la nouveauté est l’affirmation de la réutilisation en actes, aussi bien chez Shelterwood que chez BP Architecte, qui rebâtit une autre école à partir de tous les éléments de la première : chapeau !
Le modulaire 3D en bois offre des possibilités de réversibilité utiles notamment pour les locaux scolaires temporaires.
Si le démontage n’est pas programmé pour le ‘t Centrum de Westerlo, tout le bâtiment a été conçu expérimentalement en fonction de cette possibilité, non seulement la structure mais tout l’aménagement. Quant à l’espace Terrabundo d’Ennevelin, inauguré le 29 juin dernier, les objectifs cradle to cradle conduisent à donner une sorte de passeport à tous les matériaux et systèmes utilisés. Ce qui rejoint la démarche des archives d’Amsterdam, avec en sus une attention particulière aux démarches biosourcées.
Le Pavillon, ça joue ! en est encore au début d’une longue histoire. Conçu initialement comme pont entre les JOP de Tokyo et de Paris pour un montage au Japon, mais bloqué par le Covid, l’ouvrage se révèle dans le parc de la Villa Médicis à Rome et devait, grâce à sa conception poussée de démontage-réassemblage, venir souligner sur une place du vieux Lille la présence du Forum et l’approche des JOP où Lille accueillera précisément le basket. Ce projet n’a pas été réalisé, mais celui d’un remontage dans le cadre des JOP de Paris à St Ouen semble se concrétiser. L’exutoire ultime sera (pourquoi pas ?) la ville de Clichy-sous-Bois, dont l’ex-ministre de la ville (présent au Forum) était le maire, et où se construit avec Encore Heureux, en complément d’un ouvrage provisoire inauguré il y a cinq ans, la nouvelle Villa Médicis.
Démontage et remontage de la même structure est impossible en bois mais tout-à-fait réalisable en acier. Sans oublier que l’acier ou l’aluminium est recyclable à l’infini. Nous sommes dans une aberration de bois recyclable ce qui est une aberration et en plus nous n’avons pas de bois en France.
argent
Remployer les matériaux et notamment le bois s'est toujours fait, l'époque actuelle est une aberration car les valeurs matière-travail se sont inversées. La pierre de taille de ma maison du XVIIIème montre qu'elle a été déposée au moins une fois, j'ai déplacé une poutre qui présente des entailles de deux planchers antérieur à celui qui a été déposé, avec l'actuel c'est donc le quatrième, sans compter les mortaises qui montrent qu'à l'origine, cette poutre surdimensionnée provient de deux usages de charpente. J'ai gardé une autre poutre qui a servi dans un colombage, en attente d'une nouvelle place. En revanche, tous les éléments métalliques déposés sont partis au recyclage. Le bois, la pierre, le métal, bientôt le plâtre, tout peut se remployer sur de très longues périodes, dès lors que la forme du produit et sa mise en œuvre assurent la pérennité.