Le recours au bois, qui n’est qu’une des nombreuses facettes de ce projet foisonnant, s’explique par la volonté de réduire le poids de l’immeuble sur des enjambements en béton pas initialement conçus pour ce projet. Les façades en FOB habillées de bois même pour les balcons décrochent incontestablement le record français en termes de hauteur. Les sapeurs-pompiers de la préfecture de police de Paris ont failli l’empêcher et il semble clair qu’ils veilleront partout en France pour que ce record ne soit plus jamais battu.
Le risque encouru par les concepteurs n’en était pas un lors du concours de 2016, alors que Paris baignait dans l’atmosphère du concours Réinventer Paris, comme le précise Vincent Parreira d’AAVP. AAVP s’était imposé tôt comme spécialiste de la construction bois, notamment avec le collège Maria Casarès à St Denis, mention à l’Equerre d’Argent du Moniteur en 2011 et énorme surprise dans un milieu de la construction bois habitué à une architecture fruste. Quand le bonheur de vivre d’AAVP converge avec la psychologie appliquée de l’agence Catherine Dormoy et que le tandem choisit de répondre à ce concours de la ZAC Rive gauche ensemble, sans se répartir les immeubles comme sur la parcelle mitoyenne, cela donne le "Nudge", nom qui s’impose plutôt que l’insipide New G des promoteurs Cogedim et Ogic.
Les loggias sont sans doute la façon la plus pertinente de construire des logements en bois. Les planches à pourrir protègent une structure qui s'affine.
La parcelle jouxte deux autres immeubles en bois, les Persiennes et le bâtiment de l’Université de Chicago, en face de l’Indiana Café qui ne réussit vraiment pas à animer ce segment de l’avenue de France. Quand on aperçoit la façade uniforme et sombre du "Nudge" avec ses loggias en bois, on se dit que ce n’est pas gagné non plus. Les loggias à rythme régulier sont la façon la plus logique d’aménager des balcons dans une construction bois, et AAVP et Catherine Dormoy jouent la carte à plein avec des poteaux en bois habillés de planches à pourrir.
Exemple de déambulation ouverte au sein du Nudge. Photo AAVP
Le Nudge est habituellement présenté de l’intérieur avec ses coursives, ses escaliers, ses invitations, sa recherche de convivialité. Mais quand on quittera cet espace, par exemple par celle des trois failles qui donne sur la rue Lacan, l’œil butera sur 104 cases uniformes réglées au cordeau malgré des décrochements, avec en fond de parcelle une montée de 11 étages ! Comme l’économie de matière voulait que les poteaux s’affinent progressivement en montant, la perception engendrée augmente l’effet de hauteur accentué par le bardage vertical. Et ce n’est pas un nudge, pas un petit coup de pouce pour renforcer l’égo de propriétaires qui n’ont pas investi dans la pierre, ni une mise au pas sociale d’acquérants qui auront déboursé quelque 12.000 euros par m² avec une option pour racheter des pièces ou appartements mitoyens, selon la "vente au mètre", ce qui a conduit à la configuration aussi d’un T8. C’est de l’architecture bois et carbone, qui a tout son sens en termes de confort d’été, au même titre que les logements traversants.
Sur d’immenses poutres extrêmement ferraillées de la SNCF, dont le bilan carbone est à lui seul désastreux, le New G affiche le bois. Et là, on est en plein dans l’esprit nudge, car si la lumière des douches change après le temps d’une chanson pour inciter gentiment les propriétaires à mesurer leur consommation d’eau, c’est qu’une partie des coups de pouces mis en place sur cet immeuble se rapportent directement à la problématique du climat. Même si l’accent est mis sur le climat du vivre ensemble, quasiment tous les nudges se rapportent indirectement au climat. Les escaliers multiples à platelage bois, c’est du sport en montant et cela s’intègre de fait dans un parcours sportif. En descendant c’est aussi bouger moins l’ascenseur.
Record de hauteur parisien pour un bardage en bois : plus de 30 mètres. Photo AAVP
Si les ventes ont bien tourné jusqu’à la pandémie (les 30 logements invendus ayant été cédés en bloc ensuite), c’est que le projet a séduit dans son ensemble, qu’il s’agisse de la promesse de détaillants de l’alimentation ou de café, de l’ouverture de l’îlot, des innovations de la psychologie appliquée, mais aussi du bien-fondé climatique rare d’une opération qui fait l’addition suivante (sans les poutres SNCF) :
7500 m³, cela représente probablement un tiers ou au mieux un quart du bois utilisé pour tout le Village des athlètes. Le parc de bureaux Arboretum à Nanterre, sur 9 ha, aligne 27.000 m³ de bois. Un seul regret, la performance C1 - certainement plus du côté de 750 kg/m² que de 1500. Selon l’équipe, le raccordement au réseau de chaleur urbain n’est pas forcément un sésame. Construire écologique sur des poutres d’enjambement de la SNCF est un exercice qui a ses limites. Malgré les réserves finales des sapeurs-pompiers, le New G ou Nudge est un coup de pouce pour construire très bas carbone dans l’urbain.
Source : batirama.com/Jonas Tophoven © Jonas Tophoven/AAVP
La construction biosourcé
Les agences Catherine Dormoy et AAVP signent un immeuble de 132 logements qui monte à 37 m au-dessus des rails et consomme 7500 m³ de bois. Photo: Vincent Parreira d'AAVP, chef d'orchestre du Nudge avec Catherine Dormoy.