Il y a deux grands salons nationaux dédié au bois en France, le Carrefour International du Bois à Nantes et Eurobois à Lyon. Ils ont lieu tous deux en années paires, mais au moins, à quatre mois d’intervalle, et dans deux zones de chalandise complémentaires, avec des thématiques bien différenciées. La région AURA est représentative en France de la bioéconomie du bois, surtout si on lui adjoint la Franche-Comté proche. En matière de bois, la France innovante et qui investit se situe là et c’est là que bat le pouls du marché (pas à Paris !). Que révèle-t-il ?
Fin 2022, lors de leur AG, les scieurs de la FNB prédisaient une grave crise pour 2023. En avril 2023 au Forum Bois Construction, la promotion immobilière était à l’article de la mort. Et fin 2023, il était acquis que la grande crise viendrait en 2024. Et voilà que parallèlement à l’édition d’Eurobois, l’ONF publie sa lettre de conjoncture pour l’année 2023, "moins mauvaise que prévue". A Lyon, on pouvait passer des journées entières à interroger les exposants sur leur conjoncture à eux, en insistant bien qu’il ne s’agissait pas de réentendre ce qu’on dit à la télé et à Paris. Pas un seul n’a fait état d’une situation catastrophique, sinon bien sûr pour le climat et l’avenir de l’humanité. Les investissements de la filière sont massifs.
Inauguration du salon sur le nouvel espace central pratique et polyvalent.
Il y a, évidemment, les présents et les absents. Les présents ont souvent réduit la voilure, avec des stands plus modestes. Mais cela témoigne aussi du taux de 25% des nouveaux exposants, d’une certaine interrogation après le départ des colosses Biesse et Weinig, du rééquilibrage opéré par rapport aux halls. Les évolutions sont cependant contrastées. Cadwork met en scène son leadership dans le domaine des logiciels de dessin de la construction bois au même titre qu’Hundegger leader de la machine de taille à commande numérique, La Forézienne comme fournisseur de consommable pour les scieries et Felder, le fabricant autrichien de machines pour artisans, qui se propulse au rang de premier exposant d’Eurobois en surface.
Parmi les absents, beaucoup sont présents comme visiteurs et acheteurs, notamment les scieurs qui organisent traditionnellement une séance de la commission résineux, les acteurs de la seconde transformation qui sont très présents dans la région et viennent faire des emplettes. Les absents ne sont pas forcément au bord du dépôt de bilan, et les réductions stratégiques de surface ne témoignent pas d’une mauvaise année écoulée. Alors que l’avenir s’ouvrait enfin à Eurobois comme un long fleuve tranquille, après des années de repositionnement, il faudra continuer à tout réinventer. En utilisant cependant les invariants précieux qui sont disponibles.
Initiée par Mach Diffusion, la production sur salon en temps réel est une exclusivité mondiale qui ne cesse de se perfectionner.
En tant que telle, Lyon n’est peut-être pas une ville du bois, mais la métropole se trouve au centre du tissu industriel le plus dense en matière de transformation du bois. Dans cet environnement, Eurexpo offre la meilleure surface de développement, d’autant que le propriétaire des lieux, GL Events, est aussi celui du salon. Cela permet d’innover, et l’Atelier Maison Ossature Bois, au bout du hall 6 perfectionne au fil des éditions la mise en scène d’une production réelle. A vrai dire, il s’agit d’une réalité augmentée, car la ligne de production installée équipe des murs entièrement finis avec menuiseries intégrées et façade, véhiculée par le nec plus ultra de la logistique de Klaas et Auwärter. Le centre de taille à commande numérique Hundegger et le plateau multifonction Mach Diffusion sont le standard des ateliers de charpente, mais Auwärter bataille encore dans un pays qui est le seul d’Europe à ne pas respecter la limitation de hauteur à 4 mètres. Aujourd’hui, l’Atelier Maison Ossature Bois veut dire atelier idéal hors-site.
Grand contraste avec le bout du hall 5, avec son championnat d’Europe des jeunes charpentiers 2024. On n’est pas dans le même monde. La sélection française des jeunes charpentiers s’est faite au Forum Bois Construction en avril 2023 à Lille, et les organisateurs retrouvent ici un espace dédié impeccable et flanqué de surcroît de la première exposition sur la charpente de Notre-Dame, alliant le travail de plusieurs fédérations compagnonniques. Le succès est tel qu’un nouveau championnat est programmé dans les deux ans. Parallèlement, la rivalité entre ce championnat et les Euroskills s’est estompée, une édition permet de former pour l’autre.
Fierté des charpentiers, la reconstruction de la charpente de Notre-Dame, et le championnat européen qui n'a sans doute jamais disposé d'aussi bonne conditions de déroulement.
Plutôt qu’un antagonisme, ces deux visions du métier relèvent d’une complémentarité vitale pour le domaine de la construction. Car il est acquis que la situation se détériore dans le domaine de la maison individuelle, à cause des taux, de la loi ZAN… Les promoteurs immobiliers, généralement ancrés sur le béton, plongent également du bec et se mettent à licencier comme après la crise financière. Et le monde de la construction biosourcée s’interroge quand ce sera son tour. En général, les carnets de commandes restent corrects, et à l’instar de ce qui a sauvé les constructeurs bois lors de la crise de 2015, la polyvalence est de mise. Car comme dans aucun autre pays d’Europe, la construction bois et biosourcée investit progressivement tous les segments, le logement collectif, les bureaux, les usines… Le bois regagne la faveur des usagers partout, pas seulement en structure. Les parts de marché sont encore faibles mais le potentiel est gigantesque, puisque tous les donneurs d’ordre agissent désormais en fonction de la RSE.
La prochaine édition d’Eurobois devrait avoir lieu au moment où la RE2020 aura effectivement imposé un seuil carbone, celui de la RE2025. Ce seuil, s’il n’est pas décalé comme les mesures écologiques dans le monde agricole, pose des problèmes à la construction traditionnelle, avantage le bois et un salon comme Eurobois. D’ailleurs, le carbone se fait déjà une place au salon dans la charte qu’il souscrit afin de limiter les émissions de CO2, tandis que sur certains stands, on voit le label Ecovadis en bronze ou en argent. Ce dernier atteste internationalement les évaluations RSE, par exemple chez Spax (visserie) : Emballages sans plastique, stands en bois de récupération etc. Eurobois souscrit une charte qui agit sur l’éclairage, la restauration… Dans l’économie du carbone, Eurobois a sa carte à jouer, la place du salon le moins émissif de France reste à prendre.
Source : batirama.com/Jonas Tophoven © Jonas Tophoven