Le paulownia, petit canard qui devient cygne

Grâce à ses feuilles immenses, le paulownia, originaire de Chine, sait faire fonctionner sa machine à photosynthèse comme nul autre arbre. Ses principaux défauts ont été corrigés : le caractère invasif est jugulé par des cultivars stériles, dont certains, via l’allemand We Grow, sont de surcroît ingélifs. Implanté en Bretagne, Arbre Paulownia est devenu le représentant de We Grow pour la France et le Bénélux. De même qu’au siège de We Grow à Tönisvorst en Rhénanie, Arbre Paulownia est désormais en mesure d’organiser régulièrement des journées portes ouvertes, la prochaine le 16 septembre 2024 à Plougoulm dans le nord Finistère. Parallèlement, FiBois Bretagne a mis en ligne le 10 juillet un document de 14 pages dédié au Paulownia, et qui prône la prudence.

Julien et Sandrine d'ArbrePaulownia / We Grow. © Arbre Paulownia / We Grow

L’arbre magique

Comme l’explique le document de FiBois, le marché français est actuellement disputé entre Arbre Paulownia, dont les plants viennent d’Allemagne, même si l’entité bretonne s’apprête à en produire elle-même pour le compte de WeGrow, et de l’autre côté, AB Paulownia qui se fournit en Catalogne, épicentre européen de la recherche en matière de paulownia, implanté de plus longue date et disposant d’un institut de recherche dédié. Les démarches en termes de marketing semblent assez différentes. Basé dans la Sarthe, AB Paulownia cogne, expose au salon de l’Agriculture et promet aux acheteurs une rentabilité mirobolante. On a pourtant l’impression que cette stratégie de communication marche ! Arbre Paulownia pâtit de cette communication qui hérisse la filière bois. Aussi, quand Arbre Paulownia s’est installé dans le Finistère, son accueil par FiBois Bretagne a été glacial.

Sauna : les objets en paulownia ne chauffent pas et sont donc très demandés. © Arbre Paulownia

La forêt du désert

Depuis deux ans, dès qu’on interroge un acteur de cette filière sur le paulownia, on n’entend que soupirer. Pourtant, il y a dans le pays des acteurs pionniers en Europe comme Renaud David de Paulownia France, qui revendique une présence sur ce marché de 20 ans déjà. Renaud David et l’entreprise France Paulownia d’Ares en Gironde lancent en 2023 une sélection baptisée Ecoplante 374. Dans la filière forêt-bois au sens large, le paulownia n’en reste pas moins inconnu au bataillon.

Planche de surf. © Arbre Paulownia

Cela n’a pas empêché Arbre Paulownia de faire son trou en plantant plusieurs centaines d’hectares en France, et en faisant sauter le bouchon que We Grow n’arrivait pas à débloquer sur le territoire français. Désormais, Arbre Paulownia dispose par exemple, parmi ses clients et distributeurs de bois de paulownia, d'Ikiwood, une structure fondée par des acteurs de la construction bois, qui sont allés chercher partout dans le monde des informations sur cette essence. Ikiwood fait actuellement ses classes comme planteur près de Marmande, et commercialise du bois de paulownia en attendant sa propre récolte dans huit ans si tout va bien. Mais ses rêves le poussent déjà ailleurs. Il est question de verdir le Maroc en alimentant les plantations avec des centrales de désalinisation dont l’énergie est photovoltaïque…

Une dystopie

Il est un fait que le paulownia nous pousse dans un monde qui n’est plus celui que nous connaissons. La verte forêt de haute futaie d’un côté, les champs de blé dorés de l’autre. L’image d’Épinal résiste mal à la réalité actuelle de mégabassines pour champs de maïs pleins de pesticides avec des Douglas en monoculture autour. Avec le paulownia, il faut se projeter plus loin encore : les rangées d’arbres stériles qui poussent quasiment à vue d’œil, en rang d’oignons, dans un contexte qui n’est plus vraiment celui de la forêt, ni celui de l’agriculture. Des arbres aux fleurs magnifiques, mais dont les immenses feuilles cadrent mal avec nos représentations, nos repères géographiques.

Tiny house en paulownia, permettant de se caler dans la jauge des 3,5 tonnes. © Arbre Paulownia

Peut-on se passer de cet arbre aujourd’hui ?

Peut-être aussi ces arbres poussent en allées entre lesquelles se pratique l’agriculture sous couvert végétal. Mais pour cela aussi, durant les deux premières années, il faut de l’eau, des engrais. Tous les neuf ans environ, les arbres sont récoltés mais repoussent tous seuls, droit et vite. On peut ne pas aimer cette vision. D’un autre côté, on sait désormais que la forêt européenne ne remplira pas sa fonction de puits carbone d’ici 2050 (c’est le moins qu’on puisse dire), tandis que les pratiques agricoles habituelles sont fortement émissives. Utiliser une partie des terres agricoles pour y installer de puissants aspirateurs de carbone tout en protégeant les terres agricoles cultivées selon des principes peu émissifs n’est pas en soi une hérésie.

L’habitat de demain

L’autre versant de la dystopie du paulownia, c’est que les véhicules qui circulent seront pour l’essentiel en bois de paulownia, parce qu’il est si léger. Les maisons utilisent le paulownia en bardage, en structure BLC ou LVL, ou en CLT, tandis que le bois à faible densité atteint quasiment les propriétés d’un isolant. Les saunas, les planches de surf, les tiny houses sont en paulownia. Pour les objets comme les planches de surf, c’est déjà en partie la réalité. Le marché n’attend que les récoltes des prochaines années pour s’approprier ce matériau, de sorte que les prix des sciages s’annoncent élevés. Le recours au paulownia est presque indispensable pour limiter des tiny houses souvent assez volumineuses à la jauge des 3,5 t.

Lors de la dernière journée portes ouvertes à Plougoulm. © Arbre Paulownia

Le marché du mobil-home, dominé par les légers contreplaqués de peuplier, n’attend lui aussi que le paulownia pour l’aménagement intérieur. L’ameublement s’est échiné à proposer des panneaux légers et alvéolaires sans plus savoir comment les fixer, et maintenant, on aura du massif hyper léger. La puissance du paulownia en matière de substitution demande encore à être explorée, certes, mais les atouts sont manifestes. Non seulement l’arbre séquestre du carbone de façon plus rapide et efficace que n’importe quelle autre solution, mais en plus, le bois généré n’a pas vocation à finir dans les chaudières. Sa culture peut épauler les forêts.

2024 fait date

Dix ans après la Cop21, alors que la consommation de carbone par Français plafonne toujours à 9 tonnes/an sans compter les importations, de tels arguments méritent au moins un intérêt expérimental. De fait, l’INRAE d’Orléans se penche déjà depuis plusieurs années sur cette essence. En règle générale, les sachants de la sylviculture ont surtout fait preuve, face à ce qui apparaît comme une nouvelle mode, de beaucoup de réserve. Et cela n’a pourtant pas empêché un engouement qui touche plutôt les propriétaires de terres non forestières, sur lesquels le monde forestier à moins de prise. À présent, FiBois Bretagne produit un document dédié qui pose la première graine d’un rapport plus professionnel.

On comprend mieux désormais le travail à faire pour placer le bois de paulownia sur le marché du bois d’œuvre, et sur celui de la construction et de l’aménagement. À vrai dire, il faudrait dare-dare produire un technoguide du Paulownia en complément de ceux qui sont déjà parus sur le peuplier, le châtaignier, le chêne. Quelle sera la classe d’exposition de bardages en paulownia, quelle est la classe de résistance mécanique ? Quelle est l’euroclasse ? La résistance au feu ? Tout reste à faire mais les arbres sont plantés et poussent vite. La France a encore le moyen de rattraper son retard en balisant le marché aval et technique. Le déséquilibre de la balance commerciale du bois n'est-il pas assez affligeant ?

Il n’y a pas de miracle

La culture du paulownia est un nouveau métier. Depuis cinq ans environ, il était possible de se rendre aux journées portes ouvertes de We Grow à Tönisvorst, où accouraient des personnes intéressées de toute l’Europe. On y découvrait tout le processus de production des plants dans les serres, des spécimens plantés en pleine croissance, un stock de bois de plus en plus étoffé et diversifié et de plus en plus d’applications pratique en bois d’œuvre. En descendant la Meuse, on n’est même pas à 100 km de la frontière linguistique franco-germanique, mais c’est quand même de l’autre côté. Désormais, il est possible de s’informer en détail en mettant le cap à l’Ouest, où, sans oublier le travail de l’INRAE, se concentre le savoir prudent de FiBois Bretagne, les plantations et informations d’Arbre Paulownia et sans doute bientôt la production de plants.