Si vous cherchez de la laine de mouton pour isoler votre maison, rarissimes seront les magasins qui en disposeront dans leurs stocks. Les laines de chanvre, de verre, de bois ou encore de cellulose sont les favoris des isolants biosourcés. Pour autant la laine de mouton est bel et bien un isolant thermique. Ses producteurs se comptent actuellement sur les doigts d’une ou deux mains en France et travaillent d’arrache-pied pour redonner ses lettres de noblesse à un matériau pas facile à maîtriser mais très prometteur pour l’isolation des bâtiments.
De premier abord, la laine présente une multitude d’avantages qui interrogent quant à sa si faible utilisation. De fait, la laine est :
– un bon coefficient de conductivité thermique (nommé aussi Lambda), qui se situe autour de 0,04W/mK, bien que sa valeur peut varier de plusieurs milliwatts en fonction de la qualité du travail final ;
– Très bon isolant acoustique ;
– Très bon régulateur d’humidité : absorbe jusqu’à 30 % de son poids ;
– Matériau disponible en abondance en France (tant et si bien que les éleveurs sont contraints de jeter leurs laines quand les meilleures laines ne sont pas vendues à prix cassé) ;
– Très agréable au toucher, contrairement à la laine de verre qui laisse des résidus sur les mains et nécessite un équipement de protection complet ;
– Matériau biosourcé et 100 % biodégradable s’il n’est pas mélangé à du polyester.
Tous ces éléments en font un excellent isolant qui peut être utilisé soit en vrac, soit en rouleau, particulièrement pour les combles, les rampants, sous les planchers et dans une moindre mesure dans les murs périphériques. Tous ces avantages expliquent pourquoi la laine de mouton a connu un véritable engouement dans les années 2000… avant que les professionnels du secteur ne déclinent aussi vite qu’ils ont émergé pour avoir négligé son défaut majeur : la laine se fait dévorer par les mites.
"Des entreprises ont connu un vrai succès au début des années 2000, en surfant sur le côté naturel du matériau mais elles ont presque toutes périclité pour n’avoir pas suffisamment pris en compte le problème des mites. Dans ces cas d’infestation aux mites, ces entreprises devaient débourser plusieurs fois ce qu’elles avaient gagné pour revenir chez le client et résoudre le problème. Le modèle économique n’était pas viable." explique Pascal Gautrand, le directeur général du collectif Tricolor qui œuvre pour valoriser la filière laine. © Collectif Tricolor
En 2024, les fabricants de laine de mouton pour l’isolation sont rares. Cette petite dizaine de producteurs ont tiré les leçons du passé pour proposer un produit capable de concurrencer les autres laines. Actuellement, la perméthrine s’impose comme l’insecticide de référence pour protéger la laine de mouton des mites et ne semble pas connaître d’alternatives viables. Peu d’études indiquent si ce neurotoxique s’avère cancérigène pour l’homme. À côté, la laine de chanvre représente un terrible concurrent puisqu’elle ne nécessite qu’un traitement minime.
La laine de mouton pourrait ainsi cocher toutes les cases du matériau biosourcé et écologique par excellence s’il n’était pas traité à la perméthrine.
"La perméthrine constitue entre 1 % et 1,5 % de notre laine, explique Stéphane Ermann, fondateur de Mos-Laine. Notre crainte est que les normes se durcissent mais il n’existe pas de plan B. Des tests ont été réalisés avec des huiles essentielles mais elles ne tiennent pas." © Mos-Laine
Face au problème, la filière ne reste pas les bras croisés. La course est engagée entre les producteurs de laine de mouton comme isolant pour qui trouvera la formule magique. Le secret industriel est de mise dans ce secteur très restreint. La SCOPE Terre de Laine, créée en 2016, a choisi de se passer complètement de la perméthrine : "Notre solution n’est pas volatile ni insecticide, contrairement à la perméthrine qui se disperse dans l’atmosphère d’un habitat et tue beaucoup d’insectes, indique la responsable de Terre de Laine, sans révéler sa propre recette. Notre solution reste un produit de synthèse, aucun produit naturel n’est efficace contre les mites."
Plusieurs laboratoires viennent épauler les producteurs dans la recherche de leur solution. L’agence Photosynthèse aide l’entreprise Edenwool, basée dans le Lot-et-Garonne, à trouver sa solution miracle : "Il y a des choses confidentielles que je ne peux pas dire là. On est en plein travail sur toutes sortes de systèmes de traitement pour les rendre beaucoup plus vertueux pour les générations futures", explique Gilles Detiège à la tête du bureau d’étude Photosynthèse qui apporte une expertise technique pour le développement des matériaux.
"Aujourd’hui, la perméthrine est actuellement la meilleure méthode, mais il faut rappeler qu’on est sur des doses extrêmement faibles", tempère Gilles Detiège. "Comme les filières bois l’ont fait avec les insectes xylophages, il faut développer le produit et le rendre attractif. Cela ne condamne en rien la matière qui est naturellement extrêmement aboutie."
Pour appuyer leurs recherches, les producteurs peuvent se tourner vers le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) qui délivre notamment l’ACERMI, une certification pour les matériaux isolants qui atteste par exemple du lambda. Facultative, cette attestation est très recherchée – sinon indispensable – pour les producteurs -afin de se positionner sur le marché.
Tout un pan de recherche reste à explorer concernant les combinaisons des isolants. "Pour une réhabilitation, nous avons mélangé la laine de mouton et de bois, en superposant les deux matériaux. Conjuguer les épaisseurs et les différents matériaux permet de tirer le bénéfice de chaque produit", précise Stéphane Ermann, de l'entreprise Mos-Laine.
En attendant de trouver la composition idéale de laine de mouton, la demande progresse timidement. Celle-ci émane souvent de la part de clients informés qui souhaitent précisément ce type d’isolant. Les prix de la laine de mouton restent encore très variables, de 10 euros à 20 euros du m2, et elle reste encore légèrement plus chère que les alternatives en laine de verre ou de laine de bois.
Tous les fabricants contactés par Batirama appuient leur chiffre d’affaires sur une autre utilisation de la laine, souvent du feutre pour le paillage dans le domaine agricole. Ainsi, au sein de Sotextho, pourtant en activité depuis 1985, les ventes de laine comme produit d’isolation ne représentent que 7 % du chiffre d’affaires. La filière n’attend qu’une chose, sa renaissance et la confiance du public concernant la longévité de la laine. "Cette matière peut durer des siècles", rassure Gilles Detiège. "Si nous ne savions pas travailler la laine, nous n’aurions jamais eu des œuvres comme la tapisserie de Bayeux."
Contrairement à la légende urbaine, ce ne serait pas la reine Mathilde accompagnée de ses dames de compagnie qui confectionna la broderie : on ne connaît pas l’auteur ou les auteurs de la Tapisserie de Bayeux. Les scènes de la Tapisserie de Bayeux sont brodées de fils de laine sur une toile de lin. © Bayeux Museum
La construction biosourcé
Mise au rebus tellement qu’on en dispose, la laine de mouton pourrait trouver sa seconde vie sous nos combles en tant qu’isolant. Mais valoriser cette matière biosourcée aux multiples avantages n’est pas si simple.