L'Opep (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) a décrit la sortie des énergies fossiles comme "un fantasme", estimant que la demande en or noir continuera à croître au moins jusqu'en 2050, un cap symbolique de la lutte contre le changement climatique. TotalEnergies entrevoit un pic de la consommation mondiale de pétrole au mieux après 2030, dans les scénarios les plus probables, selon son rapport annuel sur l'évolution du système énergétique mondial, publié ce lundi 4 novembre à une semaine de la conférence climatique de la COP29. Et pendant ce temps, la France, elle, confirme son objectif de réduire de 50 % ses émissions brutes de gaz à effet de serre d'ici 2030 et vise à réduire fortement la part d'énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) dans sa consommation finale d'ici 2030, tel que l'a annoncé le ministère de la Transition écologique lundi 4 novembre.
Selon l'édition 2024 de son rapport sur les perspectives de la demande pétrolière mondiale, l'Opep voit la demande progresser de 17 % entre 2023 et 2050, de 102,2 millions de barils par jour (mb/j) à 120,1 mb/j à la fin de la période. L'organisation revoit au passage significativement à la hausse sa projection pour 2045, à 118,9 mb/j contre 116 mb/j dans l'édition précédente de son rapport. "Ces prévisions soulignent que le fantasme de la sortie progressive du pétrole et du gaz n'est pas conforme à la réalité", souligne l'organisation emmenée par l'Arabie saoudite, très critique sur le rythme de la transition énergétique. Parmi les principaux facteurs de soutien de cette demande de pétrole et de l'énergie en général, l'accroissement de la population mondiale, qui passerait de quelque 8 milliards d'habitants aujourd'hui à 9,7 milliards d'ici 2050.
Et cela alors que l'an dernier, à la COP28 à Dubaï, le monde s'est accordé pour abandonner progressivement les énergies fossiles et, d'ici 2030, tripler la capacité des renouvelables, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément aux recommandations des experts du climat.
Ces prévisions vont à rebours des efforts requis pour limiter le réchauffement planétaire ... Et elles sont également en fort décalage avec les prévisions de l'AIE (Agence Internationale de l'Énergie), laquelle anticipe un pic de la demande de toutes les énergies fossiles "dans les prochaines années" de la décennie en cours, grâce au bond des énergies plus propres et de la voiture électrique.
L'évolution de la demande pétrolière est hétérogène, sa croissance étant portée par les pays hors de l'OCDE, au premier rang desquels l'Inde, qui à elle seule verrait sa demande croître de 8 mb/j sur 2023-2050. © macrovector / Freepik
Du point de vue des secteurs, "la plus forte demande supplémentaire au cours de la période de prévision est prévue pour les secteurs de la pétrochimie, du transport routier et de l'aviation", indique le rapport. Malgré une montée en puissance des voitures électriques, l'Opep estime que les véhicules thermiques "devraient continuer à dominer le transport routier".
La conférence annuelle de l'ONU sur le climat à Bakou en Azerbaïdjan (du 11 au 22 novembre 2024) doit se conclure par un nouvel objectif d'aide financière aux pays en développement, afin qu'ils puissent réduire leurs rejets de gaz à effet de serre et s'adapter au changement climatique causé par les énergies fossiles.
TotalEnergies, la quatrième major pétro-gazière mondiale tenait elle aussi à dérouler sa vision pour l'énergie de demain. Pour sa sixième édition, son rapport examine les perspectives d'évolution du système énergétique mondial selon trois scénarios possibles de décarbonation à l'horizon 2050 :
– le premier, basé sur les politiques actuelles et le deuxième, intermédiaire, conduisent tous deux à une hausse de la température de la planète bien au-delà de 2 degrés par rapport à l'ère pré-industrielle. Toutefois, dans son scénario de base, TotalEnergies entrevoit donc un pic de la demande de pétrole "plutôt autour de 2035", suivi d'un plateau haut et d'une "décroissance très lente", se rapprochant ainsi des prévisions de l'Opep ;
– Dans le scénario intermédiaire, le pic interviendrait "juste après 2030", suivi d'un plateau, et d'une décroissance "un petit peu plus marquée" avec une demande de l'ordre de "65 millions de barils par jour en 2050" ;
– Seul le troisième scenario, dit de "rupture", est aligné sur les accords de Paris, c'est-à-dire permettant l'atteinte d'une hausse des températures à moins de 2 degrés d'ici 2100, avec une consommation de pétrole tombant à 44 millions de barils par jour en 2050.
Quels que soient les scénarios, TotalEnergies s'attend à une hausse de la demande de gaz au moins jusqu'en 2030, voire au-delà de 2040 selon les scénarios, une énergie qu'il juge inévitable pour compenser l'intermittence des énergies éoliennes et solaires et pour "décarboner" l'électricité. Une centrale électrique alimentée au gaz rejette environ deux fois moins de CO2 dans l'atmosphère que les centrales à charbon. Or, ces dernières ont représenté encore en 2022 74 % de l'électricité produite dans le monde.
De son côté, la France compte tenir coûte que coûte ses objectifs, précisant que la part des fossiles passera dans sa consommation finale de 60 % en 2022 à 42 % en 2030, selon la PPE (Programmation Pluriannuelle de l'Énergie), feuille de route de la politique énergétique française sur les dix années à venir, et de la SNBC (Stratégie Nationale Bas-Carbone).
Pour sortir des énergies fossiles, la France devra consommer plus d'électricité : la part de l'électricité (essentiellement décarbonée en France en raison de son nucléaire) dans la consommation finale énergétique évoluera ainsi dans le sens inverse, passant de:
– 27 % en 2022,
– 34 % en 2030,
– et 39 % en 2035.
Ces deux textes confirment de fait le lancement d'un programme de construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération (EPR2) et redressement de la disponibilité du parc existant afin d'atteindre un niveau de production d'a minima 360 TWh/an, contre 320,4 TWh en 2023 et 279 TWh en 2022.
Les énergies renouvelables joueront un rôle prédominant dans cette perspective de décarbonation, avec notamment une multiplication jusqu'à six fois de la puissance installée d'énergie photovoltaïque en 2022. "L'objectif est de porter le rythme de développement du solaire au moins à 5,5 GW/an, contre 3 GW/an dans la précédente PPE", précise le texte. Il en sera de même avec l'éolien terrestre, et l'objectif d'installer 1,5 GW de capacité supplémentaire chaque année. Ce rythme permettrait le doublement du parc actuel d'ici 2035, à 40 GW de puissance installée contre 21 GW en 2022. Enfin, pour l'éolien en mer, le gouvernement confirme l'objectif de production de 18 gigawatts (GW) en 2035, "soit plus de 10 % de la production d'électricité décarbonée" du pays, contre 1,5 GW aujourd'hui.