Mayotte après la pluie

Chantier du lycée de Longoni par Encore Heureux

Le cyclone Chido a touché le département français de Mayotte le 14 décembre 2024 en passant par les zones peuplées, en détruisant notamment les bidonvilles (les "bangas) et en arrachant les toits de maisons "en dur".




Imaginons que du jour au lendemain, tous les habitants de la ville de Nancy soient à la rue, sans électricité, eau potable, nourriture, avec un nombre indéterminé de nancéens ensevelis … C’est ce qui s’est produit le 14 décembre dans un autre département que la Meuse.

On estime que Mayotte abrite environ 150 000 personnes dans des bidonvilles, des bangas construites de bric et de broc. Le cyclone a malheureusement frappé au cœur les zones les plus peuplées de l’île et les images de la destruction sont édifiantes. Environ un tiers des habitants des bangas n’a pas de papiers légaux, un tiers des permis de séjour sont limités et le dernier tiers sont des Français. Compte-tenu des conditions locales de risques de pillage et de refoulement, beaucoup d’habitants de ces zones n’ont pas rejoint les abris quand il y en avait. Le bilan risque d’être lourd.

 

 

 

Difficile premier bilan constructif

Selon les informations recueillies auprès de l'agence Encore Heureux, mais aussi Albert&Co, Bulle Poirier Justman, Julien Beller et Air-Architecture, la structure en bois du lycée de Longoni a résisté mais pas les grues du chantier, et autour toutes les habitations seraient à plat. Une opération de renforcement d’habitat par Air-Architecture, en cours d’étaiement, n’a pas résisté mais le bois serait récupérable. Le lycée en cours de construction par Bulle Poirier Justman, avec une Atex qui lance la filière du bambou, n’a pas été trop détérioré car il en est encore aux fondations. La situation des projets de Julien Beller est encore incertaine.

 

L'île de Mayotte © Encore Heureux Co-Architectes

 

 

 

Une catastrophe de notre siècle

Hier, c’était Saint-Martin et Saint-Barth. Demain, la Réunion, les Antilles, la Guyane, la Nouvelle-Calédonie ? Hier, c’était Valence en Espagne, demain l’Occitanie ? Certes, pour l’instant, la métropole n’est pas recouverte de bidonvilles qui non seulement ne résistent pas à des cyclones, mais le transforment en danger mortel par les matériaux projetés. Cela reviendra plus au moins au même.

Pour l’heure, le lien entre l’occurrence de ce cyclone et le changement climatique n’est pas établi, mais l’on s’en tient à penser que sa violence a été décuplée par la chaleur de l’eau. D’ailleurs, après Mayotte, Chido s’est rechargé dans les eaux chaudes du canal de Madagascar pour percuter le Mozambique avec des vents encore plus violents.

 

Le chantier du lycée de Longoni. © Encore Heureux Co-Architectes

 

 

 

Mayotte, marqueur de la capacité française à assumer les chocs

Selon Sébastien Eymard de l’agence Encore Heureux, qui construit actuellement un lycée technique dominante bâtiment sur l’île avec Albert&Co, Mayotte préfigure ce qui risque bien d’arriver dans les 20 ou 30 prochaines années en métropole :

– problèmes d’eau douce ;

– Problèmes de matériaux ;

– Problèmes de migration, etc.

 

La façon dont la France parviendra à gérer cette catastrophe conditionnera sa capacité à aborder celles qui suivront. Pourtant, l’architecte Julien Beller est sceptique : l’État va se concentrer sur d’autres tâches que la reconstruction des habitats de ces populations. Il faudrait 25 000 logements, alors que les bailleurs en sortent péniblement 500 par an. L’acheminement d’habitats modulaires de fortune, sans doute incontournable, ne soutiendra en rien l’économie locale, risque de se pérenniser et de créer assez vite une nouvelle insalubrité.

 

Précieuse comparaison avant-après qui montre que la structure bois du lycée de Longoni a résisté. © Encore Heureux Co-Architectes

 

 

 

Le mythe puéril de la reconstruction en dur

Comme après l’incendie de Notre-Dame, l’émotion règne. Les micro-trottoirs parvenaient assez facilement à capter des envies de reconstruire la charpente de la cathédrale en béton et maintenant, il est question de reconstruire les bidonvilles en dur.

De toute façon, tous les matériaux de construction viennent de France, sauf la filière locale de briques de terre compressée, qui avait disparu par l’importation de parpaings mais semble renaître à la faveur des actions engagées par Encore Heureux dans le cadre de la préparation du chantier du Lycée de Longoni. Ou les fibres et le bambou.

Cyrille Hanappe d’Air-Architecture estime que les premières actions devront consister à rétablir les cheminements et les approvisionnements tout en construisant des abris en bois. L’ingénieur Jacques Anglade en a dessiné à partir de sciages de résineux courants classe 3 (du pin), les plans sont là, il y a de bonnes équipes locales de charpentiers qui savent les mettre en pratique, et l’État aurait le devoir de faire construire ces abris en acheminant des sciages de la métropole maintenant.

 

Encore une impressionnante comparaison avant-après. © Encore Heureux Co-Architectes

 

 

 

La filière bois se mobilise

Gageons que l’avion présidentiel a décollé ce jeudi sans représentant des scieurs français, mais il est encore temps de tordre le coup au mythe de la reconstruction en dur (et équipement de climatisation à l’appui), après une période indéfinie de pérennisation d’habitats modulaires d’urgence (sans savoir d’ailleurs ou poser précisément ces habitats). À plus forte raison, étant donné que le cas de Mayotte va représenter le modèle du futur, et que l’obsession du dur ne ferait qu’attiser par son émissivité le réchauffement qui conduit justement à la violence des cataclysmes.

Une réunion du Conseil Stratégique de la filière bois a lieu jeudi 19 décembre, et le travail de la Scop Gaujard, validé par le ministère de l’agriculture en 2020, fournit un bréviaire pour rebâtir avec les habitants en s’appuyant sur le "développement d’une architecture bois-fibres terre à Mayotte respectueuse des nombreuses richesses de l’île humaines, naturelles et culturelles".

Le cas de Mayotte occupera toute sa place au prochain Forum Bois Construction du Grand Palais (26-28 février 2025), dans la mesure où il illustre que la "Stratégie Climat 2050", thème du Forum Nr.14, équivaut déjà à la Stratégie Climat 2025.

 



Source : batirama.com/ Jonas Tophoven / © Encore Heureux Co-Architectes

 

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
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