Après trois décennies de préventions, d’amélioration des techniques et de connaissance du sol, les constructions de maisons individuelles n’ont plus à craindre des risques des fissures liées au retrait-gonflement des argiles. Mais les nouvelles façons de construire alourdissent la facture des constructeurs …
Le phénomène de RGA (Retrait Gonflement des Argiles) donne des sueurs froides aux assureurs. La moitié du territoire français est concernée par ce risque et selon les dernières projections de la Caisse centrale de réassurance de 2023, la sinistralité devrait plus que doubler (+ 162 %) d’ici 2050 en ce qui concerne les maisons individuelles. Mais bonne nouvelle, il semblerait que les constructions récentes soient enfin assez solides et bien conçues pour résister aux fissures du sol mouvant.
Communication des autorités, nouvelles méthodes de construction, réglementations, améliorations des connaissances, … : un ensemble de facteurs expliquent pourquoi les constructions neuves semblent enfin prémunies du risque de fissures liées aux RGA, grâce à des méthodes plus ingénieuses.
Les variations hydriques d'un sol argileux créaient le phénomène de retrait et gonflement des argiles. © Géorisque.gouv
"Il y a trente ans, les constructeurs de maisons individuelles ne connaissaient pas vraiment les recommandations pour construire sur des sols argileux car la connaissance du risque du retrait gonflement des argiles n’existait pas aux proportions que l’on connait maintenant", retrace Frédéric Henry, directeur prévention construction à l’Agence Qualité Construction, le centre de ressources dédié à la prévention des désordres dans le bâtiment. "La sécheresse de 2003 et les dégâts qui ont suivi ont engendré une prise de conscience." Depuis, les fondations sont mieux adaptées, et les assureurs ont poussé pour intégrer dans les constructions des dispositifs de plus en plus intelligents pour limiter les variations hydriques dans le sol (à l’origine des retraits et gonflement des argiles).
Enfin depuis 2018, la loi Elan (article 68) impose la réalisation d’une étude géotechnique du sol avant la vente d’un terrain, prérequis essentiel pour savoir si une construction se trouve en zone risquée. Tous ces efforts se sont révélés payants.
"On voit bien dans nos statistiques que les sinistres sur le neuf sont en train de se réduire nettement", analyse Frédéric Henry. "Sur le neuf, la bataille est en train d’être gagnée." Il y a trente ans, les dégâts sur les fondations superficielles représentaient près d’un quart du coût des désordres sur les maisons individuelles, contre 10 % désormais aujourd’hui, selon le rapport "Observatoire de la Qualité de la Construction" de 2024.
La sinistralité pourrait encore se réduire sur le neuf car la législation continue de se renforcer. On peut citer les arrêtés de 2020 sur les techniques de construction à respecter en zone RGA ou encore l’obligation pour les maîtres d’ouvrage depuis le 1er janvier 2024 de fournir une attestation de prise en compte des règles de préventions du risque RGA.
Puisque les sécheresses atteignent plus profondément les sols, la première méthode des constructeurs pour contrer le risque est simple : les fondations doivent être creusées encore plus profondément. Historiquement enfouies à 80 centimètres maximum, ce seuil représente désormais un minimum pour les zones à aléas faibles.
"Nous descendons jusqu’à 1,20 mètre de profondeur d’assise en zone d’aléas forts", illustre Frédéric Blanc, directeur régional PACA chez le constructeur de maisons individuelles Hexaom. Pour rappel, le BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière) divise la France en trois zones de risques aux RGA : "non argileuses" (27,9 % du territoire français), "risque faible" (23,6 %) et "risque moyen ou fort" (48,5%).
Environ 48,5 % du territoire français est à risque modéré (orange) ou fort (rouge). La carte d'exposition au risque du retrait gonflement des argiles est mise à disposition par le BRGM sur le site internet. © BRGM / Infoterre
Une deuxième méthode consiste à réaliser des fondations mieux reliées les unes aux autres pour maintenir la stabilité si le niveau du sol change. Plusieurs choix de fondations renforcées s’offrent au constructeur :
– les fondations en semelles filantes : contrairement aux semelles isolées, il s’agit de bandes de bétons sur tout le périmètre de la maison. Cette fondation est la plus courante pour les maisons individuelles ;
– La fondation en vide sanitaire : en surélevant le bâtiment, le vide sanitaire évite le contact direct avec le sol et réduit les tensions transmises à la structure en cas de variation de volume du sol ("Que ce soit en semelles filantes ou en vide sanitaires, nous sommes plutôt favorables à ces fondations en zone de risque au RGA qui apportent une structure rigide au bâtiment. C’est mieux quand cela est possible", recommande Frédéric Henry, de l’Agence Qualité Construction) ;
– La fondation en radier : solution radicale, la fondation en radier se présente comme une dalle de béton sur toute la surface du bâtiment. "Le radier sert à homogénéiser la portance sur un sol très sensible aux RGA", explique Laurent Arnaud, le chef du département Bâtiments Durables au Cerema.
Faut-il donc abandonner la construction en semelle isolée ? Pas forcément si le sol ne présente pas de risque. Au maître d’œuvre d’adapter les coûts avec le risque géographique. "Vous pouvez faire un blockhaus et vous résisterez à presque tout, mais cela sera forcément plus coûteux. Vous ne prenez pas toujours la Mercédès pour aller chercher du pain." ironise Virginie Merlin, ingénieure à l’Agence Qualité Construction. C’est pourquoi l’identification du sol est essentielle pour ajuster le bon niveau d’investissement.
Or la connaissance du sol reste à parfaire. "Aujourd’hui, la carte du BRGM est à une échelle grande et ne donne pas la précision suffisante. Au Cerema, nous travaillons en lien avec le BRGM pour affiner la carte des aléas RGA." précise Laurent Arnaud.
À côté des fondations mieux adaptés, les constructeurs ont désormais recours à d’autres solutions pour minimiser les variations hydriques du sol argileux, telles que :
– La mise en place d’écrans antiracinaires : simple à mettre en place, les écrans enfouis empêchent les racines des arbres de pomper l’eau à proximité des fondations, sachant qu'un arbre adulte absorbe 400 litres d’eau par jour ;
– Les trottoirs autour de la maison : cette couche imperméable permet à la fois de maintenir l’humidité dans le sol et d’éviter les infiltrations ;
– Éviter la présence de chaleur en sous-sol : si une chaudière est installée en sous-sol, la production de chaleur dans la pièce pourra avoir un impact sur la variation de l’humidité du sol.
Évidemment, ces constructions adaptées aux RGA sont plus complexes et plus chères à mettre en œuvre. "Les terrassements plus profonds nécessitent des engins plus spécifiques qu’une simple tractopelle, généralement utilisée dans une zone de faible aléa", explique Frédéric Blanc de Hexaom. "Par ailleurs, plus de terrassement, signifie plus de terre qu’il faut stocker ou évacuer."
Enfin, la construction d’un vide sanitaire en agglo creux, lorsqu’il est basé plus profondément, nécessite d’être rigidifié soit par l’intermission de raidisseurs verticaux, soit en réalisant des vides sanitaires en béton banché. Cette complexité technique a indéniablement un impact sur le prix de la maison. "En approfondissant les fondations et en ajoutant une membrane géotechnique, il faut ajouter un billet de 10 000 ou 15 000 €", chiffre Frédéric Blanc. "Ce n’est pas neutre car sur une maison de 150 000 €, ce surcoût représente entre 8 % et 10 %."
Des frais dont les acteurs de la construction de maisons individuelles se seraient bien passés, étant déjà confrontés depuis quatre ans à une flambée des coûts des matières premières, des hausses des salaires et d’un renchérissement des taux pour emprunt immobilier inédit depuis 15 ans. "Toutes ces nouvelles techniques de construction contre les RGA sont bien sûr nécessaires. Mais il faudra améliorer nos connaissances dans les années à venir pour réduire les coûts." poursuit Frédéric Blanc.