Les commandes publiques à l’arrêt, l’économie sous oxygène, le secteur du BTP subit une crise sans précédent en Nouvelle-Calédonie, dix mois après les violentes émeutes de mai 2024. Batirama fait le point avec le président de la Fédération calédonienne du BTP, Benoît Meunier.
En Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Païta, Dumbéa et le Mont-Dore ont été terriblement touchées par les émeutes de mai et juin 2024, avec près de 800 entreprises détruites. © Anne-Claire Pophillat
Benoît Meunier : Il y a 1 600 sinistres au total suite aux émeutes. Près de 800 entreprises touchées. Ça représente 1 milliard d'euros de dégâts. 10 % environ de ces sinistres concernent des entreprises du BTP, soit environ 160 sociétés.
C’est une énième crise qui frappe le secteur du bâtiment calédonien, après les trois référendums d’autodétermination commencés en 2018, puis la pandémie mondiale… En mai 2024, les émeutes ont continué à mettre à terre notre secteur. Il y a un arrêt brutal des commandes privées. Plus personne ne veut investir, ne sachant pas quel est l'avenir institutionnel de la Calédonie. Suite aux nombreuses destructions, les investisseurs privés ont stoppé tous leurs investissements, d’autant que nous avons perdu la garantie émeute. Les gens qui veulent reconstruire ne seront plus couverts par une garantie émeute. La seule chose qui bouge un peu, c'est la déconstruction qui a commencé en décembre, avec le début de la période cyclonique qui posait des problèmes de sécurité, des tôles qui pouvaient s'envoler, des structures qui pouvaient s'effondrer. Les collectivités, les mairies ont mis en demeure les propriétaires de déconstruire.
Avant la saison cyclonique, la société Sciage Béton a intensément œuvré pour sécuriser certains bâtiments. Mais depuis, les chantiers de démolition tournent au ralenti. © SciageBeton
Mais les entreprises attendent un dédommagement avant de pouvoir déconstruire. Il faut que leur dossier soit bien avancé au niveau des assurances, parce qu'on n'a pas le droit de toucher aux bâtiments tant que les expertises ne sont pas terminées. Énormément de bâtiments sont encore à terre.
Benoît Meunier : La première difficulté, ce sont les crédits. L'argent qui est versé, si l'argent est déjà versé par les assurances, il est capté par les banques pour se rembourser. Après, il faut négocier un nouveau prêt. Mais il n'y a plus de garantie émeute, et donc les banques sont très réticentes. Pour le moment, les seuls chantiers qui peuvent démarrer, ce sont des gens qui ont les finances pour le faire et qui, eux, prennent le risque de reconstruire sans garantie émeute.
C'est très compliqué. Il n'y en a pas beaucoup.
Benoît Meunier : Exactement, et ce tant qu'il n'y aura pas soit la garantie émeute par les assurances, soit la mise en place par l'État d'un fonds de garantie émeute plus général, comme il en existe par exemple pour les attentats. Actuellement, les banques et les assurances ne veulent pas fournir d'assurance émeute. Ces organismes annoncent que ce qu’ils doivent rembourser suite aux émeutes représente dix ans de leurs bénéfices.
Le problème n'est pas que calédonien, il est plus général. Les assurances se heurtent aussi à ces problèmes d'émeutes ou de mouvements populaires en métropole, dans certaines banlieues, dans les autres territoires d’Outre-mer.
Benoît Meunier : Non. Lors des émeutes, nous avions déjà tiré la sonnette d'alarme en disant : "Attention, ça va prendre 9 mois avant qu'il y ait un redémarrage". Il faut donc aider les sociétés, nous avons eu une chute brutale de notre activité. Certains chantiers ont été arrêtés par les collectivités, faute de financement. Même si le BTP préfèrerait ne pas avoir ces aides et avoir des chantiers. Notre première demande, c'est de lancer des projets.
Nous avons eu des annonces de 24 milliards pour reconstruire les écoles et les bâtiments publics, mais on ne voit rien venir. D’autant plus que le temps que la liste des écoles à reconstruire soit fournie, que les études soient lancées, que les consultations des entreprises soient lancées, et que les chantiers démarrent, il va se passer encore neuf mois.
Quelques rares chantiers publics d’envergure, financés par plusieurs organismes, ont simplement été mis en pause durant les violences de mai et juin 2024 avant de reprendre, comme celui du MUZ, futur Musée de la Nouvelle-Calédonie. © Aurélia Dumté
Ici, il y a eu la chute du gouvernement en décembre, avec de nouveaux interlocuteurs également ici.
Nous, on est en bout de ligne. Et on ne voit pas la lumière au bout du tunnel. Aujourd’hui, soit on a mangé toute notre trésorerie, soit on s'est endetté auprès des banques. On avait repoussé nos échéances auprès des banques. Et maintenant, on arrive au bout du bout.
Benoît Meunier : Oui. La fédération a rencontré l'Association française des maires. La majorité de leurs investissements sont à l’arrêt. Il n'y aura pas très peu de nouveaux projets. Ils attendent également l'aide de l'État pour la reconstruction des écoles ou des bâtiments publics. Si on doit voir la lumière, on la verra à la fin de l'année 2026. L'adage dit : "Quand le bâtiment va, tout va".
On a également un risque de perte de compétences. Beaucoup de gens qui, faute d'emploi et faute de financement du chômage, quittent le territoire, toutes ethnies confondues.
Benoît Meunier : Rien en privé, à part les restaurants McDonald's de Boulari (Mont-Dore) et de Koutio (Dumbéa) qui sont en cours de reconstruction.
Tous les autres gros projets où les bâtiments avaient été bien abîmés ont été démolis, mais il n'y a pas de reconstruction.
Benoît Meunier : La structure béton.