La construction paille face à l’eau et au feu

2e congrès de la construction et de la rénovation paille à Paris, 23 et 24 janvier 2025

À la Cité des sciences de Paris, pour sa seconde édition, le congrès professionnel de la construction et rénovation Paille a mis l’accent sur la prévention de deux risques majeurs pour la paille : l'eau et le feu.




Aymeric Prigent, l’un des ingénieurs français de la construction paille et référent du Réseau Français de la Construction Paille, entame le second jour du congrès en expliquant qu’il convient toujours, pour évaluer un risque, de multiplier la gravité des effets par la fréquence d’occurrence. Dans le cas de la paille, les conséquences d’un incendie peuvent être gravissimes, mais les occurrences sont rares. Par contre, dans le cas de l’exposition à l’humidité, il n’y a pas vraiment d’incidence vitale, mais une occurrence malheureusement très fréquente.

 

Les réseaux régionaux se multplient. © RFCP

 

 

 

Fantasmes couvants

La matinée entière a été consacrée au risque incendie. Avec un bel amalgame entre les très rares incendies de construction bois-paille, et quelques embrasements de construction bois. Un programme de recherche est engagé, baptisé POP2030, et portant sur six millions d’euros, lancé par l’ADEME d’ici 2028 afin d'améliorer les connaissances de cette filière, notamment sur ce sujet qui déroute aussi les sapeurs-pompiers.

Le colonel Fabien Moigne, chef du bureau prévention de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, distingue les incendies en cours de chantier et les incendies en cours d’usage. La seule référence paille est l’incendie de l’école maternelle de Montfermeil de 2023 qui a sonné le glas de l’agence pionnière Méandre. Le colonel n’a pas relevé celui qui s’est produit en Bretagne un peu avant, dans le cadre de la construction d’un ouvrage agricole d’avant-garde recourant à une charpente non sciée.

 

Le monde de la paille est une grande famille soudée. © Jonas Tophoven

 

 

 

La petite différence entre le brin et la botte

Emmanuelle Patte de Méandre vient de publier un ouvrage sur une opération Zéro Energie à Pantin en 2010 ; on attend le second volume sur Montfermeil en 2023. Pour l’instant, les informations colportées sur ce chantier sont que l’agence avait bien recommandée au chef de chantier de prendre soin des murs préfabriqués en caissons de bois-paille. Comme souvent, une anomalie s’était produite et l’après-midi, le formateur Pro Paille Frédéric Cousin soulignera que la préfabrication n’est pas en soi une protection contre les risques d’humidification sur les chantiers. La paille a en partie pourri, il a fallu la remplacer, de sorte qu’il y a eu de la paille en vrac sur ce chantier, permettant de détruire totalement le bâtiment en construction à l’aide d’un seul briquet.

 

L'une des magnifiques maquettes qui seront également exposées dans un mois au Forum Bois Construction du Grand Palais. © Jonas Tophoven

 

 

Le cas Montfermeil montre à quel point les deux risques majeurs d’une construction paille ou bois-paille, l’eau et le feu, sont liés. En Bretagne, de même, la paille s’était mouillée à la pose et un déshumidificateur a été installé pour l’assécher. Laissé sans surveillance la nuit, l’appareil aurait été victime d’un court-circuit.

 

 

 

Les intempéries et le marché

Peut-être que le programme de recherche POP2030 conclura, en la matière, que le maniement de caissons préfabriqués n’est pas une garantie contre les dégâts de l’eau et les menaces d’incendie, mais que cela permet de limiter un peu les risques face à la pose de paille in situ, ce qui est plutôt une question de bon sens. Le congrès, lui, ne s’aventure pas sur une préférence du hors-site.

 

Le pôle social de Langon, en Gironde, est en principe un aboutissement : chantier public, recours à la paille enduite deux faces, bardage bois brûlé et de multiples développements présentés par l'agence ABF-LAB en conférence et à la Galerie de l'Architecture Bois/Biosourcée du Grand Palais, fin février. © CBS-Lifteam

 

 

Faire comme à Rosny-sous-Bois en maîtrise d’œuvre publique et protéger les chantiers paille par un parapluie provisoire et des échafaudages, cela coûte et ne rentre pas dans le cadre financier défendable en marché privé. Mais en marché public, où la paille est-elle en train de faire son trou ?

 

 

 

Murs coupe-feu en paille

L’un des moments les plus inspirants de cette seconde journée du congrès est arrivé quand l’ingénieur et militant de toujours, Olivier Gaujard, a présenté le projet Bois ZIF, presque dix ans après avoir lancé la réflexion sur la construction biosourcée en zone à risque d’incendie de forêt. Selon Olivier Gaujard, ces zones humaines menacées par des feux de forêt sont non seulement nombreuses, mais correspondent, dans le cas des régions méditerranéennes, aux plus peuplées.

L’enjeu est de construire un bâtiment susceptible de résister aux brandons trente minutes. Le journaliste et globe-trotter Martin Paquot de la revue Topophile rapporte qu’en Californie, les maisons en bois brûlent, mais des parois en paille enduite ont résisté et incitent à reconstruire de cette manière.

 

Exemple de sinistre dû à la migration de l'eau dans les murs en paille, à Langon. © CBS-Lifteam

 

 

 

Un marché francilien pas galopant

À Paris, depuis l’école maternelle Vincent Auriol par Atelier Desmichelle et LA Architectures, et la transformation de bureaux en logements étudiants rue Bertelotte par NZI dans le 15e, on attend l’opération R+5 Daumesnil de Serge Joly, et le travail à la ZAC Chapelle Charbon avec la solution de paille hachée de la SCIC Ielo en façade. 

À Sarcelles, c’est également de la paille hachée qui a été répandue en surtoiture pour apporter une isolation à une structure légère (Centre de création des décors de la Comédie Française) : paille hachée et ITE en bottes de 22 cm, les stars du premier congrès de la construction paille à Poitiers en 2023.

Cette année, en complément, c’est plutôt la paille enduite qui a été mise à l’honneur, ce qui répond à un intérêt croissant de la construction biogéosourcée. Le cycle de recherche POB2030 va prendre le sujet à bras de corps.

 

 

 

Renaissance francilienne

La grande nouvelle, c’est que le charpentier Méha, par ailleurs fortement impliqué dans le développement de Wall Up Préfa (préfabrication de parois en béton de chanvre sur support bois), reprend l’outil de production de Batisens et installe un nouvel atelier biosourcé à Moissy Cramayel (77). On est sur la ligne R du RER même si les trains ne s’arrêtent qu’à Melun, c’est un maillon de plus pour relier au fil des voies, par des opérations et acteurs de la paille : l’opération de Daumesnil gare de Lyon (Serge Joly) et la maison Feuillette de Montargis, avec son nouveau centre de formation en paille fermé depuis la liquidation du Centre National de la Construction Paille il y a près d’un an. Méha avait touché la paille pour la résidence Bertelotte en 2021. Quant à la défection du leader francilien Batisens, exposant à Passibat’, elle serait due à un projet dont la conception ne permettait à aucun moment de remplir les caissons avec une botte pleine, et le refus de prise en charge d’un surplus de travail. Comme s'il manquait une formation "Pro-Paille conception".

 

 

 

Le calvaire de Langon

Dès lors que le 2e congrès de la construction paille s’est centré sur la question de la qualité et de la gestion du feu et de l’eau, les déboires actuels de l’un des grands chantiers de référence publics en paille enduite, le pôle social de Langon, conçu par l'agence ABF-LAB, a émergé malgré l’absence de ses acteurs. Apparemment, les problèmes d’étanchéité de toiture sur certains chantiers proviennent souvent du manque de formation des corps de métier annexes. On apprend qu'à Langon, l’équipe Lifteam, experte en construction paille depuis plus de dix ans, a dû remplacer la paille des murs cinq fois pour corriger les erreurs du co-traitant généraliste, dont l’étancheur ne maîtrisait pas les matériaux biosourcés. Les infiltrations répétées, causées par une défaillance d’étanchéité de toiture, d’abord en phase provisoire, ont dans un premier temps été imputées aux façades, avant qu’une sixième intervention ne confirme la véritable origine du problème. En effet, lors de la mise en eau de l’étanchéité définitive selon les règles, un nouveau sinistre, le sixième, a dégradé plusieurs murs à l’étage. Les travaux terminés pour Lifteam doivent être encore une fois repris.

Lifteam avait pourtant pris la précaution de protéger ses caissons de toiture isolés en ouate de cellulose par une membrane type Wetguard posée en l’atelier. L’étancheur a cru bon de varianter le projet de base des architectes avec une membrane très fine à une seule couche. Mais sans maitrise de sa mise en œuvre, l’eau a pu s’infiltrer jusqu’à la paille des murs.

En construction biosourcée, le "presque" étanche est catastrophique. Nathalie Samson de Résonance Paille l’avait souligné sur place en mai dernier lors sa visite. Ces erreurs illustrent un manque de formation sur les matériaux biosourcés de la part de corps de métiers annexes. Que faire ? Un réflexe très simple serait de grouper à la même entreprise sachante, les travaux de structures bois et ceux d’étanchéité dès le stade de l’appel d’offre, estime l'entreprise concernée

 

 

 

La qualité, c’est aussi une qualité d’âme

Au congrès, la séquence consacrée à l’eau était un morceau d’anthologie, incitant un auditeur à proposer que les pailleux faisant preuve de modestie face aux sinistres bénéficient d’avantages dans leur police d’assurance. Par ailleurs, on s’accorde à penser que si l’eau cherche son chemin de bien des manières, les phénomènes de pourrissement induits restent souvent circonscrits. Si le sinistre arrive, la règle est d’abord de ventiler, de ventiler, de ventiler encore, éventuellement de monter la température, et ensuite seulement de recourir à un déshumidificateur, mais dans ce cas à un outil puissant.

Quant au feu, un retard dommageable sera la prise en compte de solutions biogéosourcée comme le chanvre ou la terre crue. Mais c'est une course désormais effrénée contre le temps et le climat, les solutions décisives galopent après le thermomètre et on peut se demander si POB2030 n'a pas dix ans de retard.   

 



Source : batirama.com/ Jonas Tophoven © Jonas Tophoven

L'auteur de cet article

photo auteur Jonas TOPHOVEN
Jonas Tophoven est journaliste de la presse professionnelle de la construction et du bois en France et en Allemagne depuis 30 ans. Le thème qui lui tient particulièrement à cœur est la réduction drastique des émissions de GES dans la construction, première émettrice humaine du monde devant l'agriculture, avec un impact renforcé en France. Il a d'abord travaillé pendant 12 ans sur la construction sèche, puis depuis 15 ans sur la construction bois préfabriquée et il collabore depuis 10 ans à la programmation des quelque 150 conférences annuelles du Forum Bois Construction, congrès des acteurs de la construction biosourcée.
Laissez votre commentaire

Saisissez votre Pseudo (votre commentaire sera publié sous ce nom)

Saisissez votre email (une alerte sera envoyée à cette adresse pour vous avertir de la publication de votre commentaire)

Votre commentaire sera publié dans les plus brefs délais après validation par nos modérateurs.

La construction biosourcé : les autres articles du dossier...

Articles qui devraient vous intéresser

Pour aller plus loin ...

Newsletter
Produits

Rectosten M4

PRB COL TERRASSE HP
Dernière revue
Webmagazine spécial Notre-Dame de Paris

  magazine  

Votre avis compte
L'Etat veut-il sacrifier le chauffage au bois ? (78 votants)
 
Articles