Légende : Façade principale de l’immeuble D(emountable). L’accès est latéral.© Lucas van der Wee
Quoiqu’installée dans une ville moyenne, la Delft immortalisée par le peintre Vermeer, l’agence d’architecture cepezed est incontestablement l’un des grands acteurs de l’architecture néerlandaise contemporaine : références impressionnantes, y compris à l’international, intégration verticale poussée allant jusqu’à la conduite de projets et l’architecture d’intérieur.
Solide, l’agence fondée en 1973 et dirigée entre autres par le « p » de cepezed, Jan Pesman, reprend en 2012, dans le centre-ville, un ensemble de plusieurs bâtiments industriels situés près du port fluvial, qui faisaient partie du complexe immobilier de l’université technologique de Delft.
Ils seront réhabilités l’un après l’autre pour héberger cepezed mais aussi toute une pépinière de start-up créatives. Selon l’agence, seul l’un des bâtiments, de plain-pied et en brique, ne méritait pas d’être conservé.
L’agence prend son temps pour en faire un démonstrateur de l’approche circulaire dont elle est devenue le chantre aux Pays-Bas, un pays qui s’est fixé l’objectif de la circularité constructive totale à l’horizon de 2050.
De fait, Menno Rubbens, le directeur de la branche cepezedprojects, fait partie du comité national qui pilote cette révolution. En matière de circularité, cepezed aligne déjà plusieurs références : le tribunal temporaire d’Amsterdam, le restaurant The Green House à Utrecht, mais pas encore de bureaux.
L’objectif est de bâtir exactement sur la même emprise de 11x21,5 m un immeuble de bureaux démontable, R+3 pour se caler parfaitement dans le gabarit environnant. Pas de noyau béton qui vaille, seulement une dalle en béton sur pieux. A vrai dire, l’agence dispose d’une solide culture de l’acier.
Mise en place des éléments Kerto Ripa de 10,6 m de long, simplement déposés sur les cornières de rive, en appui sur la poutre traversante longitudinale. © Lucas van der Wee
Pour qu’un bâtiment soit démontable, il faut qu’il soit le plus léger possible, à cause des fondations qui se doivent elles-aussi de répondre, autant que possible, aux mêmes exigences de démontabilité. La structure en acier, en appui sur des poteaux creux 160x80 mm, sera d’autant plus légère que la descente de charge sera réduite.
Du côté de la façade, cela se traduit par un mur-rideau très largement vitré fixé directement sur la structure du bâtiment. Pas de croix de Saint-André sur la façade principale, juste une par étage sur les façades latérales, plus une croix double étage dans la zone technique opaque au fond du bâtiment, adossé au reste du complexe industriel rénové. Tout est boulonné et l’escalier métallique, suspendu à la structure, ne fait pas exception à la règle.
L’agence reconnaît que les tolérances respectives de ces deux types d’ouvrages (structure et façade) ne concordent pas et qu’il a donc fallu élever la structure avec une précision extrême. On retrouve ici la façade fétiche de cepezed, avec ses angles vitrés et des bandes opaques dédiées à l’aération naturelle, free cooling nocturne ou surventilation pendant le service.
La teinte sombre et le relief, en prolongement du capotage, évoquent de minces colonnes en brique qui dialoguent avec les bâtiments mitoyens, et prolonge l’aspect de l’enveloppe opaque du côté nord. L’adéquation entre la trame structurelle et la trame de la façade confère au bâtiment lisibilité et légèreté visuelle.
Les menuiseries cadrent exactement avec la structure.©Lucas van der Wee
L’empreinte carbone de l’acier n’est pas bonne. Mais si la structure est allégée et si l’ensemble est conçu pour un réemploi intégral avec la polyvalence poussée qu’offre un édifice qui se résume à quatre plateaux de bureaux superposés, cela change la donne.
Pour les planchers, cepezed opte pour des caissons Kerto Ripa de Metsä Wood, légers mais aussi décisifs pour l’aspect final d’un ouvrage presqu’entièrement vitré. Car la structure en acier est si fine et intégrée qu’on ne voit finalement plus que la sous-face des planchers en bois.
C’est une aubaine pour le fabricant finlandais qui a conçu ces caissons de grande portée à partir de panneaux LVL Kerto, mais qui peine à les placer en planchers tertiaires face à la déferlante des solutions à base de CLT, y compris aux Pays-Bas.
La fabrication néerlandaise est assurée par le préfabricateur bois De Groot, en Frise. Ce dernier assemble par collage, pressage et clouage, conformément aux règles du système Kerto Ripa, des panneaux verticaux Kerto LVL S de 45 mm et 360 mm de haut avec des panneaux Kerto LVL Q de 25 mm. La largeur des éléments est uniformément de 1800 mm, sauf aux deux extrémités des plateaux, où elle est portée à 2400 mm.
La largeur des caissons et leur hauteur sont standardisées, mais leur longueur est variable et il se trouve qu’elle peut justement atteindre les 10,6 mètres de long requis, moyennant l’ajout ponctuel de raidisseur situé au droit des locaux techniques.
La structure en acier intègre à chaque niveau une trame de poteaux délimitant le plateau ouvert. Les caissons reposent donc sur trois appuis : latéralement sur les profilés métalliques, et vers le milieu sur la trame de poutres métalliques qui relient des poteaux traversants, qui masqueront précisément le raidisseur. Ce qui signifie que les caissons ne sont pas jointifs.
Au droit des poteaux, l’intervalle est capoté et les caissons sont solidarisés entre eux par des panneaux vissés (5x60 mm), tandis que les caissons sont également boulonnés à la structure (boulonnage M12 et M16).
La sous-face des intervalles entre caissons est exploitée pour l’éclairage et le passage des courants faibles, et le cas échéant pour installer une partition. Côté nord opaque, les caissons supportent des locaux techniques groupés, également fabriqués à base de Kerto.
L’un des clous de l’ouvrage : le contreventement horizontal métallique masqué par le complexe de chape sèche.© Lucas van der Wee
Juste au-dessus des caissons, des plats métalliques disposés en croix de Saint-André assurent le contreventement horizontal à la place des caissons qui ne sont que posés. Ce sol irrégulier sera égalisé par une couche de granulés de 30 mm sur nid d’abeille, support d’un complexe de chape sèche avec plaques Fermacell de la même épaisseur, l’ensemble étant recouvert d’un revêtement en PVC constitué en partie de PVC recyclé.
Dans la mesure où les caissons ouverts sont laissés apparents en sous-face, on peut se demander, d’une part, si la performance d’isolement acoustique sera suffisante au regard de la réglementation française.
D’autre part, cet ensemble composé d’une structure métallique et d’un plancher bois en caisson ouvert n’inspire pas la plus grande confiance en termes de protection contre l’incendie. Il faut cependant prendre en compte le fait qu’en termes d’ingénierie du feu, l’ensemble du bâtiment est traité comme un seul compartiment. Seule la cage d’escalier a dû être réalisée en matériaux coupe-feu.
Jeu de contraste noir et blanc, exploitation technique des caissons ouverts, tout est conçu de bout en bout.© Lucas van der Wee
Dépourvu de radiateurs, le bâtiment s’en remet à une ventilation double flux courante avec récupération de chaleur, qui sont d’ailleurs entièrement escamotées, à la fois en sous-face des caissons et en toiture car masqué par l’acrotère. Structure, enveloppe, aménagement intérieur et mobilier forment un tout fluide et transparent.
De la structure au mobilier, tout est en noir et blanc, sur le modèle du jeu de la façade, avec pour seul exception le bois apparent des caissons. Ainsi, les colonnes sombres de distribution de courant sont placées en parallèle de poteaux structurels blanc de section analogue. Au sol, le PVC délimite une zone sud de travail et une zone nord d’accès et de services.
Chaque plateau est aménagé de façon différente pour illustrer des variantes. Le rez-de-chaussée ménage un espace de réunion latéral droit, le premier étage est un open space total, le second réserve deux espaces latéraux séparés sur la gauche, du côté de la kitchenette ; le dernier étage revient au modèle du rez-de-chaussée mais en amplifiant la kitchenette. Ces variantes ne sont pas identifiables de l’extérieur à première vue.
L’adaptabilité en toute neutralité, c’est bien sûr ce que vise en général l’architecture des bureaux en blanc, et cepezed recourt en gros aux mêmes solutions techniques. On ne parle pas ici de tertiaire biosourcé, passif, bioclimatique, même si cela vaudrait la peine de tenter d’adapter le principe constructif à un objectif carbone plus poussé.
La façade principale presqu’entièrement vitrée donne quasiment plein sud, des stores intérieurs sont intégrés et le nouveau bâtiment bénéficie pour les étages inférieurs de l’écran constitué par l’entrepôt de trois niveaux qui lui fait face.
L’escalier métallique suspendu est un peu la cerise sur le gâteau de l’édifice.© Lucas van der Wee
Visant la simplicité à tous points de vue, le projet a pu entamer une accélération en phase travaux, limitée à six mois. Comme le précise cepezed avec humour, une heure après le démarrage du montage, l’installation de la cage d’ascenseur préfabriquée a d’emblée permis d’atteindre le point haut de l’édifice. Trois semaines plus tard, la structure était achevée, incluant les planchers en Kerto Ripa.
Malgré un tramage soigné, l’aspect boîte de verre tertiaire ne sortirait pas du lot s’il ne se rapportait pas comme ici à une sorte de miniature inattendue. L’échelle change tout, d’autant que le nouvel édifice s’insère parfaitement par son volume dans un environnement beaucoup plus opaque.
Comme dressée sur ses quatre colonnes de ventilation équidistantes, la façade principale ne manque pas de majesté. Pourtant, l’observateur extérieur est de plain-pied avec un rez-de-chaussée quasiment sans barrière, sans doute à la néerlandaise, comme avec ces logements à Amsterdam où l’intimité est en vitrine.
L’ouvrage ne « sent » pas la modularité dans laquelle l’humain serait obligé de s’intégrer. Ce petit immeuble a trouvé sa place mais à défaut de devoir être déplacé, son approche mérite d’être clonée, mis à l’épreuve de la démontabilité, sous réserve, bien sûr, d’une adéquation aux réglementations nationales.
Si la Solideo se trouve à la recherche d’un pôle tertiaire éphémère de 800 m2, elle saura où aller le chercher. Quant à cepezed, la voie est toute tracée : développer une variante circulaire habitable pour le pavillon national néerlandais lors de la prochaine exposition universelle, à Osaka en 2025. Et conforter ainsi la place internationale de ce pays comme champion de la circularité.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven