Légende Photo : L’acheminement fluvial par conteneur des ouvrages préfabriqués de la construction bois, une option sur la voie de la neutralité carbone.©Poulingue
Jusqu’à peu, la répartition des rôles semblait immuable : la construction bois faisait valoir sa capacité à stocker du carbone, tandis que la filière béton jouait la carte de l’acheminement fluvial des composants pondéreux.
Pour les constructeurs bois, l’acheminement des éléments de plus en plus préfabriqués de l’atelier au chantier par camion était une évidence. Pour les maçons, le coût carbone de la production du ciment était une fatalité.
A présent, on entre dans une nouvelle phase : le monde du béton fait valoir les vertus de ciments « bas carbone », qui troquent notamment le clinker contre du laitier de hauts-fourneaux. De leur côté, les constructeurs bois cherchent des moyens d’optimiser leur bilan carbone.
Il se trouve que la capitale et sa région disposent d’un bon réseau fluvial, tandis que la plupart des entreprises de construction bois qui opèrent en Ile-de-France sont implantées très loin en province, ce qui induit de longs déplacements.
Parmi ces leaders périphériques de la construction bois francilienne, on trouve quelques grandes entreprises normandes qui ont bâti leur savoir-faire à la faveur d’une demande persistante de maisons en bois sur le littoral, ainsi que sur des possibilités d’approvisionnement en bois scandinave de qualité, par acheminement maritime.
Pour les Normands, les voies d’eau et le bois ont toujours fait bon ménage, à la fois pour l’import et pour l’export. Mais de là à convoyer les éléments préfabriqués sur des barges plutôt que de passer par l’autoroute en camion, il y a un pas.
L’entreprise Poulingue, l’un des leadeurs de la construction bois en Normandie, opère fréquemment à Paris. ©Poulingue
Le premier déclic est venu du projet de Village Olympique en bordure de Seine. Tandis que la délégation nationale misait sur des solutions bas carbone et pourquoi pas biosourcées, les élus locaux attiraient l’attention sur les nuisances interminables qu’allaient causer les travaux de préparation des JOP2024 dans un environnement déjà saturé en termes de transports.
Même si cette confrontation de points de vue ne s’est jamais exprimée officiellement et sur la voie publique, et que les objectifs en matière de carbone ont été prioritairement associés à des choix constructifs, le trait d’union que constitue la rivière Seine entre les installations olympiques et la Normandie a lancé plusieurs réflexions.
D’autant que Haropa et VNF considèrent la filière bois comme un secteur d’avenir tant sur les aspects de la construction que sur le volet énergétique.
« Nous mobilisons au quotidien nos équipes pour apporter des solutions logistiques aux professionnels via l’écosystème portuaire et le réseau fluvial à grand gabarit de l’axe Seine. Nous prenons aussi part aux expérimentations fluviales en apportant des appuis financiers avec notamment le plan d’aide au report modal (PARM de VNF) et en mettant en place une tarification sur-mesure au sein des trois places portuaires » indique Christophe Du Chatelier, responsable unités Filières BTP/ produits valorisables / solutions logisiques à Haropa Ports
Les ports de Paris, de Rouen et du Havre sont placés sous la même direction d’Haropa, qui cherche à ennoblir son trafic fluvial, non seulement dans le domaine du BTP, mais tous azimuts. Les deux établissements publics, Haropa et VNF, appuient les démarches de tous les acteurs du bois qui s’intéressent au report modal de la route au fleuve.
Ainsi, les interprofessions bois franciliennes et normandes ont-elles pu travailler de concert pour tester l’acheminement fluvial, en aboutissant à une première expérimentation l’automne dernier avec l’entreprise rouennaise Cuiller Frères, dans le cadre de l’initiative Probois.
La communication autour de cette première expérience a été réduite, peut-être parce que l’option choisie, qui consistait tout simplement à acheminer les éléments préfabriqués par le biais d’une péniche affrétée, s’est révélé coûteux.
En plus des frais inhérents à la rupture de charge, il fallait prendre en compte des moyens de chargement et de déchargement. Un semestre et un confinement plus tard, l’entreprise Poulingue de Beuzeville dans l’Eure a également bénéficié de cet appui pour procéder aux livraisons d’un chantier parisien dans le quartier Tolbiac, à une série de trois expéditions fluviales expérimentales adoptant une approche différente, en conteneurs.
Selon Christophe Du Chatelier : « D’autres accompagnements sont en préparation afin de tester l’ensemble des approches logistiques séquaniennes. L’objectif pour Haropa / VNF est la diffusion de nouvelles pratiques de distribution de matériaux bois en milieu urbain dense par le fleuve afin de répondre à la demande en biomatériaux des futurs chantiers franciliens ».
Dans le cadre de cette opérations expérimentale, les éléments préfabriqués mis en conteneur sont acheminés à Paris par un porte-conteneur qui fait la navette quotidienne avec le Havre. © Poulingue
L’initiative de l’entreprise Poulingue ne s’inscrit pas dans le programme Probois, même s’il est le fruit d’une interaction avec Haropa et VNF (Voies Navigables de France). Le fils du patron, Victor Fraboulet, 22 ans, en cours d’études dans une école de commerce, est embauchée en octobre dernier en alternance avec, entre autres, la mission de pousser cette expérimentation fluviale aussi loin que possible.
Il bénéficie apparemment de l’appui enthousiaste d’équipes rajeunies, notamment au sein du bureau d’étude. Il en faudra pour passer de la théorie à la pratique. C’est que Victor Fraboulet commence par étudier les différentes options qui se présentent à lui, pour miser au moins temporairement sur l’acheminement maritime par conteneur.
De fil en aiguille, la jeune équipe de Poulingue élabore le plan suivant : les éléments sont préfabriqués à Beuzeville, acheminés par camion jusqu’au port du Havre, à une trentaine de kilomètres, « empotés » dans des conteneurs d’un type adapté, transportés par barge quotidienne jusqu’au port de Gennevilliers, où le conteneur est chargé sur un camion qui effectue la livraison sur site.
Il faut trouver un chantier parisien adapté, ce sera celui de Tolbiac, où l’accès impose pour les éléments de façade en ossature bois des dimensions réduites à 2,20 mètres, qui vont permettre de les déposer à plat dans le conteneur, sans dépassement.
Passons sur les aléas d’un chantier du Covid : le premier convoyage, prévu le 2 juin, est retardé de quelques jours mais se passe comme prévu. Deux autres livraisons suivent immédiatement pour le même chantier, et permettent de mieux identifier les points qui sont susceptibles d’être améliorés en termes d’économie de coûts. Parallèlement, le 22 juin, Poulingue présente les premiers résultats de cette expérimentation à l’interprofession Francîlva en quête de relais pour le programme Probois.
Au port parisien d’arrivée, le contenu du conteneur est chargé sur un camion pour rejoindre le chantier. © Poulingue
Les choses ne devraient pas en rester là. Selon Victor Fraboulet, cette solution reste pour l’heure onéreuse en comparaison de l’acheminement traditionnel : « L’expérimentation nous a permis de repérer des économies possibles, puisque nous sommes déjà parvenus à diminuer le surcoût de moitié, entre la première et la troisième expédition. La massification de ce type d’acheminement pourrait également rendre cette solution plus compétitive. Et en fin de compte, un surcoût raisonnable peut être absorbé dans l’ensemble de la prestation ».
Victor Fraboulet ne se réfère pas seulement à une sorte de bonus environnemental, mais, dans la perspective concrète des chantiers olympiques, à l’impératif du respect des délais : « Maîtriser l’acheminement fluvial, c’est disposer d’un outil efficace pour faire face aux aléas en respectant coûte que coûte les délais des chantiers ».
D’ailleurs, Victor Fraboulet ne se contente pas de rajouter la logistique fluviale à la logistique routière : « L’option du convoyage par conteneur présente des avantages et des inconvénients, comme cette coûteuse logistique des derniers kilomètres, entre Gennevilliers et le chantier de Tolbiac.
C’est pourquoi d’autres options d’acheminement fluvial méritent désormais d’être testées, comme celle que nous propose la Sogetrans, et qui consiste à utiliser des nouvelles barges plates baptisées ZULU, qui permettront de se rapprocher au plus près des chantiers, tout en conservant une approche de conteneur.
Approvisionnement d’un chantier parisien dans le quartier Tolbiac ©Poulingue
Parmi ses missions, le jeune Victor Fraboulet doit également mettre en place une collaboration étroite avec Metsä Wood autour de la préfabrication des caissons Kerto Ripa à base de panneaux LVL. Les dimensions des conteneurs cadrent bien avec ces caissons de grande longueur qui pourraient s’y empiler à plat, comme le montrera bientôt une nouvelle expérimentation.
Ces flux d’importation passeraient par les installations d’Haropa dont les communautés portuaires ont une acquis une expertise du bois de longue date sous tous ces aspects logistiques (manutention, stockage et transport).
En ligne de mire, les chantiers pharaoniques du Grand Paris, dans un contexte urbain de plus en plus sensible à la construction bas carbone et de plus en plus hostile au trafic de camions.
Quant au Village Olympique, les attributions des ouvrages correspondant aux quelque 30 000 m3 de bois que Solidéo prévoit de voir mis en œuvre sur le site devront attendre l’obtention des permis de construire.
On sait déjà que le grand sujet sera la façade à ossature bois : « Jusqu’à 2,80 m, il sera possible de convoyer les éléments préfabriqués en les plaçant sur chant ». La compétitivité de Poulingue sera préservée par l’expérience acquise, éventuellement la massification induite, mais aussi par une sage stratégie de recours complémentaire et flexible à deux modes d’acheminements complémentaires, afin de parer à toutes les éventualités.
Source : batirama.com/ Jonas Tophoven