La construction désassemblable

La construction désassemblable

Les initiatives et les techniques constructives se multiplient pour que les éléments de structure des constructions nouvelles puissent être démontées et réutilisées, de façon à améliorer sensiblement leur bilan carbone.




Monaco : pose des modules Ossabois sur une structure porteuse en bois qui enjambe l’avenue. Tout devra être démonté dans dix ans. Photo © Ossabois

 

 

Disons-le tout de suite, le thème est clivant. Pour les uns, c’est une évolution évidente et respectueuse des ressources, mais qui demande de profonds changements dans l’industrie de la construction, notamment pour les assemblages, mais aussi pour le traçage des éléments constitutifs. Pour les autres, c’est une "usine à gaz" d’autant plus superflue que si l’on veut conserver des éléments pour reconstruire demain, on sait bien que demain les codes constructifs, les réglementations, les attentes auront changé.

 

 

Construire pour 10 ans et plus

 

 

Grand spécialiste français de la construction modulaire 3D en bois, Ossabois a déjà réalisé plusieurs sujets de logements démontables, livrés et en service, dont Coallia Habitat à Montreuil et Antony, et un projet pour Emmaüs Solidarité à Ivry. C’est ce projet qui sera le premier à faire l’objet d’un démontage prévu en 2023 pour une reconfiguration et récupération en l’état de l’ensemble des supports/fondations (longrines bois) et des modules. Pour l’heure, Ossabois travaille sur un projet analogue pour l’architecte Gabriel Viora à Monaco.

 

Le ministère des travaux de Monaco a lancé ce projet original pour réduire la durée de chantier de la rénovation de la DSP (direction de la sûreté intérieure). Le bâtiment tertiaire est réalisé en plein centre de Monaco (juste en face de l'entrée du stade princier), posé sur une structure bois en lamellé-collé réalisée par le charpentier Simonin au-dessus d'un boulevard très passant.

 

La structure est composée de poteaux lamellés-collés de 6 mètres de haut pour un bâtiment de trois étages de 2500 m². L'entreprise générale Probat, mandataire du groupement qui gère cette opération, a fait confiance à Ossabois pour mettre en place cette solution démontable. La première pose de module a eu lieu le 13 juillet, celle du dernier module le 4 août, pour une livraison fin septembre. Afin de gagner du temps et de simplifier le futur démontage (dans 10 ans), les modules arrivent avec le bardage en mélèze, les pré-finitions du couloir intérieur, les lots techniques.

 

La DSP va s'installer dans ce bâtiment pour 2 ans. Puis ce bâtiment confortable, polyvalent et très performant sera mis à disposition de toutes les autres entreprises et administrations de la principauté qui ont également des travaux de rénovation à prévoir sur les 10 ans à venir. Dans 10 ans, la structure sera démontée pour une deuxième vie, à Monaco ou ailleurs.

 

 

La circularité par Kamp C

 

 

Kamp C est une initiative de la province d'Anvers. Cet ancien camp de transit militaire de la ville de Westerlo a été reconverti en 2014 en Centre provincial pour la construction et l'habitat durables. Depuis, elle aide le secteur de la construction à rompre avec les processus traditionnels pour accélérer la transition durable. Grâce à des projets subventionnés et à des projets de construction concrets, les entreprises (technologiques) de construction innovantes bénéficient d'un soutien pour mettre leurs innovations disruptives sur le marché.

 

 

Le hall d’accueil de l’immeuble de bureaux ‘t Centrum montre les concessions nécessaires pour développer des constructions effectivement transformables et démontable. Photo © Beenens

 

 

Après avoir construit la première maison en imprimante 3D, en 2020, Kamp C a achevé en mai 2022 son siège baptisé ‘t Centrum, 2400 m² sur trois niveaux. L’architecte est West Architectuur, l’aménageur Beneens Bouw, et parmi les contributeurs industriels on trouve Reynaers Aluminium (façade alu sur bois ConceptWall50, portes extérieures Masterline 8), Foamglas (pose sans colle de l’isolant de toiture) ou The Engineering Network.

 

Mais l’une des contributions les plus importantes est celle de l’Autrichien Binderholz avec la structure en bois, soit 365 m³ de panneaux CLT BBS 125 et 105 m³ de BLC. L’approche est modulaire et se base sur des fondations sans ciment. Tout est flexible et facile à transformer, avec peu d’énergie et sans nouveaux matériaux. Parois, planchers, poutres et poteaux en bois sont modulaires et viennent de Binderholz. La particularité, c’est que le connecteur b-fix a été utilisé dès la préfabrication. Il s'agit d'un moyen d'assemblage pour le montage de poutres en bois lamellé-collé sur des poteaux en bois lamellé-collé. Inutile de dire que les travaux ont été réalisés en BIM. Encore en construction, le bâtiment a déjà remporté le prix européen Procura+ de "Sustainable Procurement of the Year" en 2020.

 

 

Démontable, remontable, transformable…

 

 

Plusieurs éditions durant, le Japonais Suteki a exposé à Batimat et lors du congrès Woodrise de Bordeaux en 2017 on apprenait même que le fabricant Japonais Nice Corporation envisagait une commercialisation mondiale de son système. Au cœur, des chevilles et des pièces d’assemblage en acier au carbone, sans écrou, boulon ou vis. Bref, un assemblage idéal pour une déconstruction.

 

Du jamais vu en Europe, où toutefois ce ne fut pas simple d‘implanter l’approche. Il a fallu trouver un producteur d’éléments lamellés-collés (EN 14080 et de classe minimale GL24, masse volumique minimale de 350 kg/m³) en Autriche et passer au CSTB une Evaluation technique européenne qui remonte déjà à avril 2013. Suteki Europe s’est implanté à Lier en Belgique et il existe désormais pour la France l’entité Sutekiwood en train de glisser vers l’appellation Kiwood.

 

La construction à Belleville en cœur d’îlots de 13 logements sociaux pour HSF par Prinvault Architectes avec SNRC Construction s’appuie surtout sur l’approche Kiwood à cause des difficultés de desserte. Une démolition à précédé la construction en cours, et des briques avec toit en zinc intègrerons le Bâtiment dans son contexte. Mais ailleurs, Kiwood mise fortement sur des constructions éphémères de cachet. Photo © Kiwood

 

 

Sophie Lunard, sa directrice générale, exposait au CIB à Nantes et tout en poursuivant les projets de construction avec bureau d’études, elle développe les ouvrages éphémères basés sur cette solution particulièrement élégante et facilement réutilisable. Petit à petit, le système trouve ses marques et vient enrichir le monde européen de la construction bois. Selon elle, cette solution constructive est démontable, remontable et transformable : "Ki Wood développe deux marques : SuteKi Wood, pour les extensions, surélévations, maisons et immeubles jusqu’à R+4 ou 5 selon les configurations et HighKi Wood pour les bâtiments de grande hauteur, avec de nouveaux connecteurs et l’utilisation également de feuillus issus des forêts françaises. HighKi Wood est en cours d’agrément avec le CSTB. Les tests ont été réalisés, les résultats passent en commission. Nous espérons avoir les agréments officiels courant septembre".

 

 

Une préoccupation sociétale rarement aidée par l’industrie

 

Dans le passé, les assemblages bois/bois ont toujours permis de réutiliser les éléments de charpente et même l’ancienne "forêt" de Notre-Dame en témoignait. Les choses se sont compliquées avec l’arrivée de l’âge du ciment et du béton armé. On a construit en dur pour durer, même si les exemples se multiplient de démolitions coûteuses d’ouvrages de moins de 50 ans.

 

Du côté du bois, les modes constructifs portés par l’eurocode 5 n’ont pas facilité le désassemblage et longtemps, le bois se prévalait surtout de stocker du carbone. Aujourd’hui, en pleine compétition entre les ACV et dans un contexte de production de matières première de plus en plus tendu, cela ne suffit plus. Si un système peut se prévaloir d’une réutilisation bas carbone, sa fin de vie est valorisée.

 



Source : batirama.com / Jonas Tophoven

L'auteur de cet article

photo auteur Emilie Wood
Journaliste, photographe, vidéaste, Emilie Wood travaille depuis 2010 pour la presse, qu’elle soit professionnelle dans les domaines du BTP et de l’agriculture, ou généraliste. Pour Batirama, elle écrit sur des sujets aussi variés que la conjoncture BTP, l’évolution de la réglementation, la rénovation énergétique, les réformes, les innovations, ou encore l’actualité de l’immobilier. Elle apprécie particulièrement réaliser des portraits d’entreprises et révéler les femmes et les hommes qui, chacun à leur manière, font une différence, qu’ils soient entrepreneurs ou collaborateurs d’entreprise.
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