Depuis 2015, les totems du Forum instaurent un lien entre une manifestation professionnelle et le grand public local auquel la construction biosourcée est destinée en alternative des méthodes constructives traditionnelles et fortement émissives. En principe, un architecte relevait le gant et se concertait étroitement avec les Compagnons du Devoir, qui utilisaient la période de levage et de démontage comme opération de séduction.
Maquette du layon guyanais au 12e Forum, 12-14 avril à Lille.
Les projets démontés étaient réutilisés en formation, jusqu’à ce que, par la force des choses, les projets de totem changent de dimension et soient récupérés pour d’autres usages. Ce fut le cas durant la période où l’architecte Fabienne Bulle a intégré la fabrication des totems dans une démarche pédagogique de l’ESA de Paris, avec l’appui de La Fabrique Collective. Le crédo de Fabienne Bulle : bâtir quelque chose doté d’une fonction.
Parallèlement, l’événement professionnel s’est ouvert au grand public depuis son édition parisienne. L’obligation d'accueil imposée par la RMN pour le Grand Palais s’est muée en opportunité. A Nancy en 2022, le Forum a consacré une large part de son espace d’accueil à des expositions ciblées sur le recrutement dans une filière sans relève. A Lille, les sessions inaugurales du mercredi 12 durant l’après-midi, et la dernière après-midi du vendredi, permettent au grand public de découvrir les expositions et d’assister aux conférences, sans perturber le déroulement du congrès professionnel proprement dit.
Que découvriront-ils à Lille le mercredi 12 avril à partir de 14h ? Un vaste espace convivial où se déroule le championnat des jeunes charpentiers, où rivalisent les inventeurs sur le pavillon des Tréteaux de l’innovation, au milieu de plus de 200 stands d’exposition. Mais leur regard sera attiré, au milieu, par le layon guyanais fort opportunément pourvu des plantes de la serre tropicale que la municipalité de Lille vient de fermer. Il doit beaucoup à l'architecte Franck Brasselet de Jag Architectures associé à l'architete Julien Cottalorda de C&P et leurs nombreux amis.
Jamais l'architecture bois guyanaise contemporaine n'a été aussi bien mise en valeur que dans ce projet collectif.
Une majestueuse canopée par Arnaud Maignant de CBS-Guyane et des constructions à partir des coupes de bois de bordures d’autoroutes lilloises, matière première des étudiants architectes de l’ENSA de Lille. Autour de Franck Brasselet et Julien Cottalorda, un grand nombre de partenaires de cette région contribuent à faire connaître la forêt amazonienne et son usage dans des réalisations architecturales représentées notamment par le maquettiste de Renzo Piano.
Les congressistes et le grand public peuvent assister le même après-midi dans l’amphithéâtre Marie Curie, à partir de 16h30, à une session dédiée à la construction biosourcée guyanaise, modérée par la très jeune Anna Nourric, ingénieure ESB et directrice au Centre technique des Bois et Forêts de Guyane. Le thème : "La Guyane, modèle de l’Europe Biosourcée", renverse sciemment les perspectives dans le cadre d’une édition lilloise tournée vers l’Europe.
La gestion par l’ONF de la forêt primaire amazonienne est exemplaire et se pratique sous couvert végétal ; les feuillus sont exploités pour la construction locale de haute qualité, depuis des décennies ; le débardage par dirigeable est en plein développement et unique au monde ; les acteurs économiques guyanais, au premier rang desquels le CNES, apportent une telle importance à la forêt que leurs nouveaux bureaux multiétages sont en bois local. Un écosystème professionnel complet s’est créé autour du bois et de la construction bois locale, qu’envierait les promoteurs du label Bois des Alpes.
La session fait le point sur la recherche en matière de bois et de forêt en Guyane (Maeva Leroy), présente la filière bois et le Centre Technique des bois et de la forêt de Guyane (Julien Cottalorda, Alain Hocquet), le projet de débardage par dirigeable Flying-Whales (Armelle Tarrieu et Argann Simonin), la brique de terre (Stéphane Lambert, Laurent Chamoux), la construction bois (Franck Brasselet), La construction d’ouvrages d’arts bruts (Emmanuel Bazin de Jessey, François Mas, Pedro Brandao), la logistique fluviale (Franck Louison), l'exploitation des bois imergés (Craig Penfold, Elodie Delonca), etc.
Les mygales et les papillons ne seront lâchées dans le layon que le vendredi après-midi, tout comme les autres idées reçues et préjugés que cette démonstration de charme veut contrecarrer. Le 17 mai 2023, Franck Brasselet sera enregistré comme architecte guyanais depuis 30 ans. A l’époque, alors que le jeune CNDB tentait de placer quelques planches dans le projet olympique d’Albertville, il fallait prendre le grand large pour construire autrement qu’en béton. Mais aussi, il fallait quasiment tout inventer pour exploiter du feuillu local tropical. La forte présence de la Guyane au 12e Forum International Bois Construction est une forme de rétrospective.
Entre temps, la forêt amazonienne a été dévastée, elle est devenue émissive. En Europe, une prise de conscience de l’émissivité gigantesque de la construction pousse au recours massif de matériaux renouvelables, mais aussi à la réduction de l’énergie grise de la transformation du bois. L’expérience du pionnier Frank Brasselet et de ses amis guyanais arrive au bon moment pour pousser les constructeurs européens vers la neutralité carbone.