Une angoisse secoue actuellement la filière de construction bois, suite aux fuites relatives à un décret sur le bureau du ministre de l’Intérieur, relatif à la protection passive contre l’incendie des établissements recevant du public de plus de 8 mètres de haut en plancher supérieur. Ce décret devrait plus ou moins entériner la position que les sapeurs-pompiers de la Préfecture de Police de Paris ont développé dans leur "doctrine" publiée en juillet 2021.
Le 4 juin 2023, une tribune paraît dans les pages en ligne du Monde, signée par 600 personnalités, interpellant le gouvernement : le futur décret sur la protection incendie des ERP en bois n'est-il pas en contradiction avec les objectifs environnementaux et la volonté de décarboner le bâtiment ?
Jamais le Forum n'avait enregistré une telle affluence pour l'un de ses ateliers parallèles.
L'embêtant, avec ces sortes de pétitions, c'est que les signataires s'engagent sans connaître précisément les textes en question, ni le contexte. Mais cela n'a pas empêché 600 professionnels de franchir le pas, craignant que l'arrêté n'applique plus ou moins la doctrine des sapeurs-pompiers de la Préfecture de Paris, parue en juillet 2021. En résumé, selon cette dernière, le bois structurel contribue à l’incendie par sa masse calorifique et il convient souvent de l’encoffrer. Cette perspective déplaît à des acteurs qui veulent construire en montrant le bois, butent déjà sur des surcoûts et s’interroge sur le bilan émissif de ces mesures.
D’un autre côté, la filière de construction biosourcée attend avec impatience une réponse face à une situation où la doctrine parisienne remet en cause la réglementation actuelle pourtant en vigueur. Il faut être en 2023 et surengagé dans le pire scénario du GIEC pour qu’une telle incertitude ne détruise pas purement et simplement le marché de la construction biosourcée.
Le plateau de l'atelier C2, organisé par Dominique Cottineau et l'UICB.
L’atelier C2 du 13 avril 2023 à Lille n’a pas, comme escompté, levé le voile sur le décret à paraître, mais exposé en près de deux heures les grandes lignes de la situation actuelle en matière de protection des ouvrages en bois, face à l’incendie. C’est rare car les négociations en cours se sont déroulées sous le sceau de la confidentialité. Et depuis 2016, le travail de la commission incendie d’AdivBois ne brillait pas non plus par sa transparence médiatique.
Le colonel des sapeurs-pompiers Frédéric Goulet précise que la démarche de réglementation en cours vise à asseoir le bois comme un matériau de construction logé à la même enseigne que tous les autres, et à ne pas le traiter dans une case séparée. Cela signifie que l’on quitte une réglementation fondamentalement basée sur l’inerte et qu’on intègre comme naturelle l’utilisation de matériaux organiques et biosourcés.
En charge plus précisément des négociations relatives à la construction bois, et relai d’Hervé Téphany déjà au sein de la commission AdivBois, Alexandre Bonnet incarne un changement de ton des sapeurs-pompiers et une position plus critique face au bois. C’est l’homme de la doctrine, et il déclare : "Globalement, nous allons protéger le bois structural". Pour autant, suite sans doute aux efforts de la filière construction bois, le bois structural apparent n’est pas banni complètement.
A la demande de Dominique Cottineau, FCBA intervient pour faire un point sur l’évolution de la réglementation concernant les façades. La nouveauté principale concerne les tests pour permettre l’utilisation des ETICS (enduits sur isolant), jusqu’à 28 mètres. C’est acquis pour la laine de roche, des essais sont actuellement concluants pour le PSE et au second semestre, des essais auront lieu pour la fibre de bois.
Le représentant du laboratoire d’essai Efectis montre les résultats d’essai dont certains indiquent que le bois contribue à la prolongation indéfinie de l’incendie même après que la charge combustible initiale de l’essai ait été retirée. C’est précisément ce que le décret en gestation veut empêcher.
Le promoteur WO2 apporte enfin une touche de réalité avec sa pratique de bois apparent et de sprinklage. Tandis que le décret préparé pour les ERP s’enorgueillit de ne pas imposer le sprinklage, WO2 en a fait la règle dans ses bureaux et disposent de tests qui valident cette solution, notamment le brouillard d’eau.
Le délégué général de l’UICB, représentant avec Clément Quineau (UICB) de la filière bois dans les négociations, organisateur et modérateur de l’atelier C2, intervient rapidement pour parler des plans d’action de la filière. A court terme, il s’agit de répondre à la consultation sur le texte ERP. A moyen termes, dans le cadre du consortium créé autour de l’UICB, la Capeb et la FFB-UMP pour "mieux caractériser le bois en situation d’incendie pour introduire plus de bois dans la construction."
Représentant de la catégorie essentielle des bureaux de contrôles, Thierry Lamadon de Veritas insiste sur ce qu’il appelle les preuves à fournir, qu’il rapporte à des résultats d’essais de laboratoire. "Plus on est chargé en situation normale, et moins on a une résistance au feu escomptée", précise-t-il, en apportant une nouvelle couche de complexité au problème de la protection contre l’incendie.
Mais son intervention finale complexifie surtout la réflexion par ses indications sur les moyens actuels de renforcer la résistance au feu des assemblages. Selon lui, ces nouveaux moyens permettent d’atteindre des performances importantes et devraient être prises en compte, et c’est en fait la piste suivie ailleurs en Europe : augmenter les performances de tenue au feu des structures de l’eurocode 5.
On ergote sur des bâtiments en bois qui brûlent alors que ce sont les forêts qui entrent actuellement dans la phase d'embrasement total.
Par ailleurs, il attire l’attention sur la protection de la couche de carbonatation des éléments en bois qui brûlent. Venant d’un bureau de contrôle réputé, ces remarques finales peut-être orchestrées par l’UICB indiquent, en complément des développements sur les sprinklers, qu’en matière de protection incendie, la messe n’est pas dite.
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Jonas Tophoven est le meilleur vulgarisateur de l'opaque filière forêt-bois. Et le plus cultivé. Plus le sujet est complexe, plus il vous le rend facile à saisir, gemütlich. Avec lui la "Réglementation incendie" devient un remake de la Comédie Humaine de Balzac. J'attends la suite du feuilleton ...