Tandis que le CNDB bonifie avec succès les vacances scolaires de printemps en voyage d’études sur la construction bois en Suède, les Allemands ne peuvent s‘empêcher de montrer qu’ils ont toujours une longueur d’avance. Ils viennent en train à Paris, circulent exclusivement en transports en commun, privilégient les cantines et rentabilisent l’impact carbone de leur déplacement en visitant 26 projets de construction bois avec en prime une soirée de compréhension de la réglementation incendie.
Comme c’est de rigueur dans la construction bois, tout est dans la programmation et la préfabrication. La région a développé une initiative pour la construction bois depuis 2018. La part de marché de la construction bois y est plus haute que n’importe où en Allemagne, surtout dans les logements individuels à cause de l’excellence de la préfabrication du Fertighaus. C’est ici qu’on trouvait jusqu’à peu la plus haute tour en bois d’Allemagne. Côté ingénierie, c’est le Land des ponts en bois, des structures géodésiques incroyables en bois. Choisir comme destination Paris, cela sent le voyage d’agrément.
Fabienne Bulle, à gauche, avec le groupe allemands à la caserne de Bourg-la-Reine. © Jonas Tophoven
Mais voilà, la coalition fédérale a lancé en juin 2023 sa propre initiative pour la construction bois et souligné qu’elle voulait se coordonner avec des initiatives régionales existantes. En pratique, la prestigieuse chambre des ingénieurs de Stuttgart a eu les coudées franches pour ne plus s’en tenir aux précédents voyages d’études habituels en Autriche et en Suisse, pour pousser le bouchon aussi vers la France. C’est sans doute encore une fois à mettre au crédit de Dominique Gauzin-Müller, qui a organisé tant de pèlerinages professionnels dans le Vorarlberg qu’elle a fini par en relever les effets. Une exposition a circulé en Allemagne sur la construction bois française, elle a séduit notamment par la diversité et l’originalité des projets.
Notre-Dame, un must pour tous les fans de la construction bois, avec ses magnifiques croquis sur les palissades, sa plateforme Weisrock, son musée souterrain. © Jonas Tophoven
De toute façon, il existe dans le grand monde germanique des passerelles comme les fournisseurs de machines, de systèmes constructifs, d’assemblages, d’ingénierie et de cabinets d’architectes. Dominik Philipp, l’un des quatre architectes associés de l’immense agence d’architecture du Vorarlberg Dietrich Untertrifaller Architekten, porte bien son nom à la fois français et allemand. Il a arrangé récemment la visite à Paris d’une trentaine des charpentiers de Carinthie (Autriche), et réglé la première étape magistrale du tsunami de visites des Allemands : l’extension du collège Evariste Galois à Sartrouville, certainement la plus grosse opération d’extension scolaire de l’IDF avec un montant de travaux autour de 60 millions d’euros.
Mischa Witzmann de Karawitz explique ce que signifie pratiquement l'architecture bois en France, à l'exemple de projets du quartier de la Villette. © Jonas Tophoven
Les Allemands ont constaté que l’existant en béton peut se contenter d’une résistance au feu faible entre étages, tandis que l’extension en bois doit se prévaloir d’un coupe-feu de 1h30. Pour l’atteindre, autant gonfler l’Azurtec que pose Mathis avec Bouygues en EG, de façon à enjamber les neuf mètres sans poteau intermédiaire. Les Allemands s’étonnent d’un dispositif qui transforme les nervures non porteuses à la dimension de grosses solives, sans les utiliser en solives. Les travaux ont lieu en site occupé avec des coups de bourres toutes les six semaines pendant les vacances scolaires. Le futur couloir central est représenté par une immense image réaliste qui habille la séparation de chantier. On y voit comment le projet typiquement DUA, bien dessiné et sobre, est détourné pour des raisons de sécurité avec des gardes-corps en bois surélevés. L’agence n’en est pas en France à sa première déconvenue.
Le lendemain, l’agence FBAA et Fabienne Bulle font visiter la caserne de Bourg-la-Reine dans le cadre d’une journée centrée sur l’incendie, passant par Notre-Dame et finissant par un petit séminaire franco-allemand dûment préparé par Yves-Marie Ligot. Rien à redire sur le travail de l’agence, par contre, les Allemands ne comprennent pas que la caserne couvre seule 180 000 personnes : Outre-Rhin, il y aurait cinq fois plus de casernes pour la même population, et surtout, l’Allemagne est émaillée de casernes volontaires. Interrogée sur l’évolution de la construction bois française, Fabienne Bulle, qui pratique depuis 40 ans, insiste sur le problème culturel persistant d’une population latine moins proche de la construction bois que dans les pays germaniques. Dans le même esprit, l’architecte regrette que le bois soit abordé de plus en plus comme un produit et pas comme matériau : une façon d’occulter ce avec quoi on n’a pas encore redéveloppé une affinité.
La dernière matinée est consacrée au quartier de La Villette qui n’est séparé de l’hôtel que d’une station de RER E. Une promenade pittoresque qui combine le bâtiment de l’URSSAF (Carcelen), le Hilton (Calq), le Kaplas (Atelier du Pont), le complexe de la rue Jean Jaurès (Archi 5 et Encore Heureux), la surélévation du quai de Metz (Chartier Dalix), le bâtiment Ourq de Karawitz présenté par Mischa Witzmann, la Ferme du Rail (Grand Huit). Le déjeuner chez les Compagnons du Tour de France, faisant écho à la cantine de la maison des compagnons du Devoir goûtée la veille, réserve en apothéose la visite de la salle d’exposition des chefs-d’œuvre de charpentiers, rêves de construction bois de l’époque de Jules Verne, à l’aube d’un siècle de béton.
La veille, un parcours dans la ZAC Rive Gauche et la ZAC Bruneseau a fait le lien entre les débuts de Roland Schweitzer rue de Domrémy, le fantasme de Lina Ghotmeh pour réalimenter Masséna, celui d’Hardel Le Bihan pour des tours de bureaux de 200 m avec planchers CLT, et le futur proche de la Tour Commune, de l’Air du temps (mock-up et chantier en cours de socle métallique), du projet Aurore de Kengo Kuma ; en passant par la réalité actuelle et contrastée du 7 rue de Tolbiac, de la tour Harari, de l’université de Chicago, du Nudge (New G), des tours Watt, Le Berlier, Wood’Up. On n’est pas au Louvre, mais dans une sorte de Disneyland incontournable de la construction bois parisienne. Quitte à ce que le regard soit plutôt attiré par la tour de la biodiversité ou la façon dont Jean Nouvel transforme les bouchons du périph’ en petits poissons qui remontent sa façade.
Source : batirama.com / Jonas Tophoven