Le Forum Bois Construction, congrès annuel des acteurs de la construction bois, biosourcée et géosourcée, est l’exemple rare d’un développement européen d’une formule très germanique. Pour s’implanter, l’organisatrice Nicole Valkyser n’a cessé de recentrer le programme sur la France. Mais quand l’occasion s’est présentée d’aller à Lille, pas bien loin de Bruxelles, l’idée a germé de montrer que ce qui se passe en France est en phase avec l’Europe. C’était en avril 2023 et, un an plus tard, la crainte d’un revirement électoral et d’un recul remettait ce sujet sur le tapis, générant un atelier A1 en toute première position.
On sait que les aides de l’ADEME pour le développement industriel du bois et des biosourcés dans la construction viennent directement du fonds européen NextGenerationEU. La France a pesé pour la création de ce fonds permettant de relancer l’activité après la pandémie et actuellement, ce fonds change le visage de la construction biosourcée en France, musclant un tissu industriel qui va permettre de continuer à développer la construction très bas carbone, et même à en faire une spécialité française que le Forum se prépare à montrer au monde dans le cadre de son 14e Forum au Grand Palais rénové de Paris.
Avec Bond Society, la jeune agence européenne Schultearchitekten construit sur l'île de Nantes un ensemble qui recoure au béton de chanvre préfabriqué. © Schultearchitekten
Au-delà des appels à projets, la France et la filière de construction biosourcée oublie trop que l’Europe débloque des sommes folles pour le développement de la bioéconomie, comme le souligne le modérateur Andreas Kleinschmit von Lengefeld en introduction de l’Atelier A1. Certes, les mille milliards concernent l’ensemble de l’économie européenne avec l’objectif de remplacer à tous les niveaux les matières fossiles et polluantes. Ainsi, seul 1 % des emballages dits "plastiques" sont fabriqués en Europe à base de matériaux biosourcés. Par ailleurs, la dépendance vis-à-vis du gaz et du pétrole russe est criante et humiliante.
Pour ce qui est de la construction, la situation française correspond peu ou prou à celle de ses voisins. Comme ailleurs dans l’industrie, la bioéconomie y joue un rôle négligeable. Pourtant, un peu partout, des initiatives ont eu lieu pour changer la donne pour des raisons évidentes de lutte contre le changement climatique. Le benchmarking (pour rappel, le benchmarking est un ensemble d'actions aidant à évaluer et à comparer ses produits, méthodes et services à ceux de ses partenaires ou de la concurrence) est vital et peu connu. Ainsi, comme le rapporte Océane Le Pierrès de l’Institut de l’I4CE (Institut de l'Économie pour le Climat), les Allemands ont fortement développé l’industrie de la fibre de bois, tandis que les Français misaient sur le bois énergie. Les programmes européens comme Interreg permettent de comparer les stratégies de développement pour la construction bois, mais aussi la paille, le chanvre …
Olaf Broms Wessel présente le premier grand immeuble en structure bois du Danemark. © Forum FBC
L’objectif est commun, les voies pour y parvenir diffèrent si l’on écoute les sœurs Schulte de Schultearchitekten qui ont symboliquement fait le démarrage des ateliers du Forum 2024. Le tandem des jeunes architectes de la génération Erasmus, marqués par la France, réalise le benchmarking au niveau de l’activité de l’agence. Les jeunes architectes essaient de transposer leurs valeurs à la fois en France et en Allemagne, et constatent certaines différences d’approche qu’elles exploitent directement dans leur travail. En France, la poussée vers le biosourcé leur permet de construire avec du béton de chanvre à Nantes (en association avec l’agence Bond Society), pour l’un des plus grands complexes à ce jour. En Allemagne, l’orientation industrielle et la disponibilité de résineux scolytés les autorise à pousser des projets qui interroge l’architecture modulaire.
La richesse de l’approche transnationale se retrouve avec l’agence Septembre, créée par trois jeunes femmes architectes qui se sont rencontrés dans le cadre des échanges Erasmus. Paris est le cluster mondial de l’architecture biosourcée, et dans cette grande famille, Septembre intervient à la fois en France, en Suède et en Afrique. L’un des intérêts de ce positionnement, c’est que Septembre signe à Stockholm un R+6 entièrement en bois, si ce n’est les structures porteuses des balcons. Cela fait plaisir de constater que la réalité européenne de la construction biosourcée diffère de la tendance récurrente française à réinjecter du béton partout dans les constructions bois.
Le Luxembourg, pays le plus riche du monde selon des critères économiques humanisés, construit des écoles, mais dépense aussi beaucoup d’argent pour comprendre l’impact carbone des solutions adoptées. De fait, le Luxembourg est conscient de ce qui se passe en France avec la RE2020 et la prise en compte de l’impact carbone. L’agence Wiry&Wiry a eu la possibilité de bâtir une école à Wobrécken, tout en listant les systèmes constructifs employés, afin de proposer à chaque fois une amélioration carbone. Le Forum attendait la présentation depuis deux ans : malheureusement, l’atelier A1 était trop chargé pour entrer dans les détails. Il n’en demeure pas moins que les préoccupations françaises et les systèmes constructifs se retrouvent à l’étranger et que les échanges sont indispensables.
Le Danemark, pas bien loin du Luxembourg, est un pays expert du bois d’ameublement, au moins depuis les années 50. À présent, une première grande opération de construction publique veut lancer le développement de la construction bois. D’ailleurs, les intervenants ne partent pas de rien : ils ont développé, il y a dix ans, des dômes en bois présentés précisément au Forum. La Finlande, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, le BENELUX, la France, l’Autriche… une Europe de la construction bois se met en place ! Elle est servie par le développement d’une structure européenne comme WoodPop, pour laquelle la construction n’est qu’un aspect de la bioéconomie. Pourtant, cette orientation bioéconomique donne des ailes, la Finlande en fait son cheval de bataille à Bruxelles. WoodPop vient de publier une brochure sur la protection des ouvrages en bois contre le feu. Les structures se mettent en place pour que la construction bois bénéficie des retombées de la stratégie bioéconomique européenne.
Globalement, on peut retenir de cet atelier que l’orientation est comparable entre les pays européens et les acteurs. Le cas de la massification allemande de la fabrication de fibre de bois laisse songeur et rappelle l’approche France 2030 de massification du bois dans la construction en France. En Allemagne, l’industrie a été si bien aidée que la production de fibre de bois a été multiplié par 50, avant de reperdre la moitié de son volume et de stagner aujourd’hui à 5 % du marché. Au mieux, il risque de se passer la même chose avec la massification industrielle de la construction biosourcée en France, catastrophe climatique ou pas. Les investissements industriels ne sont pas tout. Il faut un accompagnement longue durée, et tout aussi massif que les investissements industriels. La RE2020 en est un bon exemple, unique en Europe, et encore fragile car on ne sait pas si la France franchira son premier vrai palier carbone début 2025. Mais comme le rappellent les sœurs Schulte, en Allemagne, sans RE2020, la construction bas carbone n’en est pas moins aidée sous d’autres formes. Chacun sa manière, mais surtout, de la constance, de la logique et de la persévérance !
Tout sur le Forum Bois Construction
Alors que s’achève une "ère Timmermans" plutôt hostile à l’industrie forestière, la commission Van der Leyen dispose toujours d’un budget de 1 000 milliards d’euros pour développer la bioéconomie européenne.