Vinci Énergies teste en grandeur nature les avantages et les limites du courant continu

Vue des bureaux de Vinci Energies à Lille équipés d'un réseau hybride associant courant continu et courant alternatif

Chaque transformation de courant continu en courant alternatif (et inversement) génère une perte d’énergie variable selon l’efficacité et la charge des onduleurs. Vinci Énergies élimine ces pertes.




Commençons par un petit rappel. Le courant continu, dont l’abréviation est CC en Français (et DC pour Direct Current en anglais), circule toujours dans le même sens, de la borne positive à la borne négative, la tension du courant est constante. Et aucune puissance réactive n’est générée dans le réseau. Ce qui élime une source de pertes. Le courant alternatif CA en français ou AC pour Alternative Current en anglais, quant à lui, change de sens régulièrement et circule alternativement vers la borne positive et vers la borne négative.

En Europe, ce changement de direction se produit 50 fois par seconde. On parle de courant alternatif à une fréquence de 50 Hertz (Hz). Les centrales électriques génèrent du courant alternatif. Le réseau public distribue du courant alternatif. Toutes les installations électriques dans un bâtiment fonctionnent en courant alternatif, sauf un nombre croissant de systèmes qui produisent ou absorbent du courant continu.

 

 

 

Qu’est-ce qui fonctionne en courant continu ?

Toutes les installations photovoltaïques produisent du courant continu, jusqu’à leur onduleur qui transforme ce courant en courant alternatif et en perd une partie dans cette transformation. Toutes les bornes de chargement de véhicules électriques distribuent du courant continu. Si elles sont alimentées en courant alternatif, elles contiennent un onduleur qui le transforme en courant continu et en perd une partie au passage. Si le bâtiment possède un stockage d’électricité en batteries, ce stockage doit être chargé en continu (perte s’il est alimenté en courant alternatif) et génère du courant continu qui doit être transformé en courant alternatif (re-perte) pour alimenter le bâtiment. Enfin, tous les ordinateurs fonctionnent en courant continu. Les ordinateurs de bureaux contiennent leur propre onduleur. Mais dans le cas des ordinateurs portables, l’onduleur se trouve dans le boîtier extérieur sur leur câble d’alimentation : perte et perte. Même chose pour les tablettes et smartphones (encore perte). L’éclairage moderne constitué de Leds consomme peu par rapport aux tubes et aux ampoules incandescentes, mais pourrait consommer encore moins. En effet, les Leds fonctionnent en courant continu et le driver de Leds, un dispositif de puissance associé à chaque luminaire Leds ou à chaque chaîne de luminaires Leds, a notamment pour rôle de transformer le courant alternatif distribué dans le bâtiment en courant continu pour alimenter les Leds : perte. Le réseau ethernet, qui constitue l’essentiel des réseaux de communication dans les bâtiments tertiaires, notamment les bureaux, fonctionne en courant continu. Enfin, tous les climatiseurs équipés d’inverter pour leur pilotage – depuis les monoblocs jusqu’aux plus grands DRV – fonctionnent en courant continu. L’inverter n’est rien d’autre qu’un onduleur embarqué qui transforme le courant alternatif du bâtiment en courant continu pour alimenter le compresseur du système de climatisation (perte encore).

 

Par rapport au schéma de distribution classique, ci-dessus, qui multiplie les pertes à la faveur de transformations DC/AC et AC/DC, Vinci Énergies a construit un réseau uniquement en AC pour alimenter les postes de travail. © PP

 

 

 

 

 

Vinci Énergies a construit un test en grandeur nature

Face à ce constat, Vinci Énergies s’est dit que tout ça est un peu bête. En effet, l’évolution des règlementations et des prix de l’électricité poussent les bâtiments tertiaires à s’équiper en panneaux photovoltaïques qui produisent du courant continu, de stockages d’électricité qui absorbent et restituent du courant continu, de bornes de recharge de véhicules électriques qui produisent du courant continu, etc. Bref, pourquoi ne pas éviter autant de pertes que possible en équipant les bâtiments d’un réseau de distribution de courant continu ? L’entreprise a décidé d’équiper 310 m2 de Wave, son siège régional à Lille, de 18 m2 de panneaux photovoltaïques. Ce qui représente une puissance crête de 5 kWc. Un stockage d’électricité de 12 kWh est installé au sous-sol.

 

Le stockage de 12 kWh dans des batteries Li-ion est dimensionné pour couvrir une journée de consommation. © PP

 

 

 

 

Enfin, un réseau de distribution DC (courant continu) a été installé jusqu’à chaque poste de travail. Les ordinateurs portables, les tablettes et smartphones sont directement branchés à ce réseau DC en prises USB-C ou USB-A. L’éclairage en Leds est alimenté également par le réseau DC et piloté par un bus DALI (Digital Addressable Lighting Interface), l’interface de pilotage traditionnelle de l’éclairage. Ce dernier dispositif a tout de même posé quelques difficultés : le driver DALI classique pour les Leds transforme le courant alternatif en courant continu. Il a donc fallu commander des drivers spécifiques qui n’embarquent pas cette fonction et qui transforment le courant continu distribué en 48 V en 24 V pour alimenter les Leds. Le cœur du système est le tableau électrique, assemblé par un tableautier selon les instructions Vinci Énergies. Si c’était à refaire, indique Vinci Énergies, ils choisiraient un éclairage DALI sur PoE (Power over Ethernet) qui existe et est déjà largement commercialisé en Europe. Le chauffage de ce bâtiment est assuré par des panneaux radiants alimentés en eau chaude par une chaudière. Mais il existe une offre croissante de solutions DRV directement alimentées en DC. Lors du dernier salon Interclima 2022, GREE, l’un des principaux fabricants de climatiseurs au monde, avait présenté un DRV que l’on peut alimenter directement en courant continu.

 

Chaque poste de travail est alimenté en courant continu et dispose de plusieurs prises USB pour brancher les différents équipements nécessaires. © PP

 

 

 

 

Le but de Vinci Énergies en équipant seulement une surface de bureaux réduite était de comparer les résultats avec le reste des bureaux du bâtiment Wave. Premièrement, à postes de travail équipés de la même manière, les postes alimentés en courant continu consomment 20 % d’électricité en moins que ceux alimentés en courant alternatif. Deuxièmement, le réseau hybride – courant continu et courant alternatif – a mobilisé 50 % moins de volume de cuivre que la surface comparable équipée exclusivement en courant alternatif. Les câbles DC offrent en effet une section réduite par rapport aux câbles AC.

Pour mener à bien ce projet innovant, plusieurs entreprises locales de VINCI Énergies Building Solutions sont intervenues, en partenariat avec Ingérop pour les études techniques et Bureau Véritas pour la surveillance de la mise en œuvre et la conformité normative de l’installation : 

– Cegelec Nord Grands Projets pour les études d’exécution, le pilotage et la maintenance des installations de courant continu ;

– Lesot, pour l’installation photovoltaïque en toiture ;

– Delporte, pour l’installation électrique ;

– Smart Building Energies, pour l’intégration au sein de la GTB existante (Gestion Technique du Bâtiment), le monitoring et les compteurs dédiés au courant continu.

 

Le cœur de l’installation est le tableau électrique installé au troisième étage de Wave. Il gère les trois sources de courant : les panneaux PV, le stockage d’électricité et le réseau public d’Enedis. Il contient les compteurs d’électricité DC : production PV, chargement/déchargement des batteries, consommation DC), ainsi que les organes de sécurités pour le réseau DC. En effet, un choc électrique AC induit un risque de fibrilation cardiaque, tandis qu’un choc AC induit plutôt un risque de brûlure. Le disjoncteur électronique, la boîte bleue Schneider Electric à droite, coupe le circuit DC en une microseconde, contre 30 millisecondes dans le cas des disjoncteurs différentiels AC classiques. Ce qui est suffisamment rapide pour assurer la sécurité des usagers et éviter l’apparition d’un arc électrique. Les mises à la terre AC et DC sont identiques. La boîte bleue à gauche est l'arrivée du circuit des panneaux PV : pas d'onduleur, mais un convertisseur de tension. © PP

 

 

 

 

 

Un besoin de standardisation

L’un des enseignements de cet exercice est qu’il apparaît un fort besoin de standardisation des installations de distribution DC dans les bâtiments tertiaires, afin de faciliter l’apprentissage pour les entreprises, d’augmenter la taille du marché, de réduire les coûts d’installation, etc. Pour contribuer à cette standardisation, Vinci Énergies a adhéré à la fondation Current/OS, qui développe une standardisation en réunissant plus de 70 partenaires industriels, dont ABB, Eaton, Schneider Electric, Mersen, Dekra, Fuji Electric Global et Hager. Current/OS s’attache notamment à standardiser le voltage autour de quelques valeurs 350 V, 175 V et 48 V dans la distribution DC à l’intérieur des bâtiments, 700 V, voire 1 400 V en sortie des installations PV sur le bâtiment. Dans une installation DC, le voltage est une indication nominale. Chaque spécification de voltage fonctionne en réalité dans un intervalle. Par exemple, dans le cas d’une installation en 350 V, l’intervalle de fonctionnement normal est compris entre 320 et 380 V. Un fonctionnement entre 250 et 320 V génère des alarmes, tandis qu’une installation entre 380 et 540 VDC est l’indication d’une surtension et déclenche les protections appropriées. Dans les spécifications Current/OS, la tension est l’indication nécessaire pour piloter les sources et les charges. Ce qui évite l’installation d’un système de pilotage centralisé pour que l’installation demeure stable. Quand la tension dépasse la valeur nominale, par exemple 350 V, c’est l’indication d’une surproduction de courant : c’est le moment d’augmenter les usages (chauffer l’eau des ballons d’eau chaude, etc.) et/ou de stocker l’énergie dans des batteries. À l’inverse, une tension inférieure à la valeur nominale indique une surconsommation : il faut délester des usages et/ou décharger le stockage d’électricité.

Bref, une installation en DC doit être pilotée de manière adaptée, même si le système aboutit finalement à une installation nettement plus simple qu’en AC.

D’autres associations mondiales défendent le développement du courant continu, notamment ODCA (Open DC Alliance), crée en novembre 2022, qui a atteint 70 membres à l’automne 2024 et s’occupe plutôt des réseaux de distribution extérieurs aux bâtiments, dans les bâtiments industriels et dans les Data Centers. Enfin, les 2 et 3 avril 2025 à Paris Porte de Versailles, le nouveau salon DC World Event réunira plus de 80 exposants et un congrès avec 30 conférences sur l’intérêt et le développement du courant continu.



Source : batirama.com / Pascal Poggi

L'auteur de cet article

photo auteur Pascal Poggi
Pascal Poggi, né en octobre 1956, est un ancien élève de l’ESSEC. Il a commencé sa carrière en vendant du gaz et de l’électricité dans un centre Edf-Gdf dans le sud de l’Île-de-France, a travaillé au marketing de Gaz de France, et a géré quelques années une entreprise de communication technique. Depuis trente ans, il écrit des articles dans la presse technique bâtiment. Il traite de tout le bâtiment, en construction neuve comme en rénovation, depuis les fondations jusqu’à la couverture, avec une prédilection pour les technologies de chauffage, de ventilation, de climatisation, les façades et les ouvrants, les protocoles de communication utilisés dans le bâtiment pour le pilotage des équipements – les nouveaux Matter et Thread, par exemple – et pour la production d’électricité photovoltaïque sur site.
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